La Princesse d'Elide

Comédie Galante mêlée de musique et de ballets,
représentée le 8 mai 1664,
lors de la seconde journée des fêtes
des Plaisirs de l'Île Enchantée.

Livret de Molière - Musique de Lully

 

 

La Princesse d'Elide fut d'abord présentée à la cour puis donnée ensuite à la ville (9 novembre 1664), au théâtre du Palais-Royal, par la troupe de Monsieur, frère du roi.

 

Le texte suivant est celui des Intermèdes. Ceux-ci étaient chantés et dansés et  s'inséraient entre les actes de la pièce.

 

Personnages de la Pièce

LA PRINCESSE D'ELIDE (Melle Molière).
AGLANTE, cousine de la princesse (Melle Du Parc).
CYNTHIE, cousine de de la princesse (Melle de Brie).
PHILIS, suivante de la princesse (Melle Béjart)..
IPHITAS, père de la princesse (Hubert).
EURYALE, prince d'Ithaque (La Grange).
ARISTOMENE, prince de Messène (Du Croisy).
THEOCLE, prince de Pylé (Béjart).
ARBATE, gouverneur du prince d'Ithaque (La Thorillière).
MORON, plaisant de la princesse (Molière).
LYCAS, suivant d'Iphitas (Prévost).

Personnages des Intermèdes

L'AURORE, LYCISCAS (Molière), valet des chiens, Trois valets de chiens, Un satyre, TIRCIS, CLIMENE.

PREMIER INTERMEDE.

(La scène est en Elide.)

Scène I : Récit de l'Aurore.

Quand l'amour à vos yeux offre un choix agréable,
Jeunes beautés, laissez-vous enflammer ;
Moquez-vous d'affecter cet orgueil indomptable
Dont on vous dit qu'il est beau de s'armer.
Dans l'âge où l'on est aimable,
Rien n'est si beau que d'aimer.

Soupirez librement pour un amant fidèle,
Et bravez ceux qui voudraient vous blâmer.
Un coeur tendre est aimable, et le nom de cruelle
N'est pas un nom à se faire estimer :
Dans le temps où l'on est belle,
Rien n'est si beau que d'aimer.

(Pendant que l'Aurore chantait ce récit, quatre valets de chiens étaient couchés sur l'herbe.  Ils s'éveillent à la fin du récit de l'Aurore.)

.Scène II : Valets de Chiens et musiciens.

Holà ! holà ! Debout, debout, debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout
Holà ! debout, vite debout.

PREMIER.
Jusqu'aux plus sombres lieux le jour se communique.

DEUXIEME.
L'air sur les fleurs en perles se résout.

TROISIEME.
Les rossignols commencent leur musique,
Et leurs petits concerts retentissent partout.

TOUS ENSEMBLE.
Sus, sus, debout, vite debout.

A Lysicas endormi.

Qu'est-ce ci, Lyciscas ? quoi, tu ronfles encore,
Toi qui promettais tant de devancer l'Aurore !
Allons, debout, vite debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout.
Debout, vite debout ; dépéchons, ho, debout.

LYCISCAS, en s'éveillant.
Par la morbleu ! vous êtes de grands braillards, vous autres, et vous avez la gueule ouverte de bon matin.

MUSICIENS.
Ne vois-tu pas le jour qui se répand partout ?
Allons, debout, Lyciscas, debout.

LYCISCAS.
Hé ! laissez-moi dormir encore un peu, je vous conjure.

MUSICIENS.
Non, non, debout Lyciscas, debout.

LYCISCAS.
Je ne vous demande plus qu'un petit quart d'heure.

MUSICIENS.
Point, point, debout, vite debout.

LYCISCAS.
Hé, je vous prie.

MUSICIENS.
Debout.

LYCISCAS.
Un moment.

MUSICIENS.
Debout.

LYCISCAS.
De grâce.

MUSICIENS.
Debout.

LYCISCAS.
Je...

MUSICIENS.
Debout.

LYCISCAS.
J'aurai fait incontinent.

MUSICIENS.
Non, non debout, Lyciscas, debout.
Pour la chasse ordonnée il faut préparer tout.
Vite debout, dépêchons, debout.

LYCISCAS.
Hé bien ! laissez-moi, je vais me lever. Vous êtes d'étranges gens, de me tourmenter comme cela ! Vous serez cause que  je ne me porterai pas bien de toute la journée ; car voyez-vous, le sommeil est nécessaire à l'homme ; et, lorsqu'on ne dort pas sa réfection, il arrive... que... on est... (Il se rendort).

PREMIER.
Lyciscas !

DEUXIEME.
Lyciscas !

TROISIEME.
Lyciscas !

TOUS ENSEMBLE.
Lyciscas !

LYCISCAS.
Diable soit les brailleurs ! Je voudrais que vous eussiez la gueule pleine de bouillie bien chaude.

MUSICIENS.
Debout, debout,
Vite, dépêchons, debout.

LYCISCAS.
Ah ! quelle fatigue, de ne pas dormir son soûl !

PREMIER.
Holà ! ho !

DEUXIEME.
Holà ! ho !

TROISIEME.
Holà ! ho !

TOUS ENSEMBLE.
Holà ! ho ! ho ! ho !

LYCISCAS.
Oh ! oh ! oh ! oh ! la peste soit des gens, avec leurs chiens de hurlements ! Je me donne au diable, si je ne vous assomme. Mais voyez un peu quel diable d'enthousiasme il leur prend, de me venir chanter aux oreilles comme cela... Je...

MUSICIENS.
Debout.

LYCISCAS, en se levant.
Quoi ! toujours ! A-t-on jamais vu une pareille furie de chanter ? Par la sambleu ! j'enrage. Puis-que me voilà éveillé, il faut que j'éveille les autres, et que je les tourmente comme on m'a fait. Allons, ho ! messieurs, debout, debout, vite ; c'est trop dormir. Je vais faire un bruit de diable partout.
(Il crie de toute sa force.) Debout, debout, debout ! Allons vite, ho ! oh ! oh ! debout, debout ! Pour la chasse ordonnée, il faut préparer tout : debout, debout ! Lyciscas, debout ! Ho ! ho ! oh ! oh !

 

Lyciscas s'étant levé avec toutes les peines du monde, et s'étant mis à crier de toute sa force, plusieurs cors et trompes de chasse se firent entendre, et concertés avec les violons commencèrent l'air d'une entrée, sur laquelle six valets de chiens dansèrent avec beaucoup de justesse et de disposition ; reprenant à certaines cadences le de leurs cors et trompes ; c'étaient les sieurs Paysan, Chicanneau, Noblet, Pesant, Bonard et La Pierre.


 

ACTE PREMIER DE LA PIECE.

La chasse qui se préparait dans le premier Intermède du Ballet était celle d'un prince d'Elide.

 

DEUXIEME INTERMEDE.

Scène I : Moron.

Jusqu'au revoir. Pour moi, je reste ici, et j'ai une petite conversation à faire avec ces arbres et ces rochers.
Bois, prés, fontaines, fleurs, qui voyez mon teint blême,
Si vous ne le savez, je vous apprends que j'aime.
Philis est l'objet charmant
Qui tient mon coeur à l'attache ;
Et je devins son amant
La voyant traire une vache.
Ses doigts tout pleins de lait, et plus blancs mille fois,
Pressaient les bouts du pis d'une grâce admirable.
Ouf ! cette idée est capable
De me réduire aux abois.

Ah ! Philis ! Philis ! Philis !
Ah, hem, ah, ah, ah, hi, hi, hi, oh, oh, oh, oh.
Voilà un écho qui es bouffon ! Hom, hom, hom, ha, ha, ha, ha.
Uh, uh, uh. Voilà un écho qui es bouffon.

Scène II : Un ours, Moron.

MORON,
 apercevant un ours qui vient à lui.

A ! monsieur l'ours, je suis votre serviteur de tout mon coeur. De grâce, épargnez-moi. Je vous assure que je ne vaux rien du tout à manger, je n'ai que la peau et les os, et je vois certaines gens là-bas qui seraient bien mieux votre affaire. Eh ! eh ! eh ! monseigneur, tout doux, s'il vous plaît. Là, (Il caresse l'ours et tremble de frayeur.) là, là, là. Ah ! monseigneur, que votre altesse est jolie et bien faite ! Elle a tout à fait l'air galant, et la taille la plus mignonne du monde. Ah ! beau poil, belle tête, beaux yeux brillants, et bien fendus ! Ah, beau petit nez ! belle petite bouche ! petites quenottes jolies ! Ah ! belle gorge ! belles petites menottes ! petits ongles bien faits ! (L'ours se lève sur ses pattes de derrière.) A l'aide ! au secours ! je suis mort ! Miséricorde ! Pauvre Moron ! Ah ! mon Dieu ! Et vite, à moi, je suis perdu. (Les chasseurs paraissent.) Hé, messieurs, ayez pitité de moi. (Les chasseurs combattent l'ours.) Bon ! messiers, tuez-moi ce vilain animal-là. O ciel ! daigne les assister ! Bon ! le voilà qui fuit. Le voilà qui s'arrête, et qui se jette sur eux. Bon ! en voilà un qui vient de lui donner un coup dans la gueule. Les voilà tous à l'entour de lui. Courage ! ferme ! allons, mes amis! Bon ! poussez fort ! Encore ! Ah ! le voilà qui est à terre ; c'en est fait, il est mort ! Descendons maintenant pour lui donner cent coups. (Moron descend de l'arbre.) Serviteur, messieurs, je vous rends grâce de m'avoir délivré de cette bête. Maintenant que vous l'avez tuée, je m'en vais l'achever, et en triompher avec vous. (Moron donne mille coups à l'ours qui est mort.)

Entrée de ballet

Les chasseurs dansent pour témoigner leur joie d'avoir remporté la victoire.

(Ces heureux chasseurs n'eurent pas plutôt remporté cette victoire que Moron, devenu brave par l'éloignement du péril, voulut aller donner mille coups à la bête qui n'était plus en état de se défendre, et fit tout ce qu'un fanfaron, qui n'aurait pas été trop hardi, eût pu faire à cette occasion ; et les chasseurs, pour témoigner leur joie, dansèrent une fort belle entrée : c'étaient M. Manceau, les sieurs Chicaneau, Baltazard, Noblet, Bonard, Magny et La Pierre.)

 ACTE DEUXIEME DE LA PIECE.

Comédie amoureuse entre le Pince d'Ithaque et la princesse, qui tous deux s'aiment mais feignent l'indifférence. (La pièce avait été commencée en vers, mais le délai donné à Molière pour la réalisation l'obligea à la continuer en prose. Ainsi, le premier acte et un morceau de la première scène du deuxième acte sont en vers, et le reste en prose. )

TROISIEME INTERMEDE.

Scène 1 : Philis, Moron.

MORON.
Philis, demeure ici.

PHILIS.
Non. Laisse-moi suivre les autres.

MORON.
Ah, cruelle ! si c'était Tircis qui t'en priât, tu demeurerais bien vite.

PHILIS.
Cela se pourrait bien faire, et je demeure d'accord que je trouve bien mieux mon compte avec l'un qu'avec l'autre ; car il me divertit avec sa voix, et toi, tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien que lui, je te promets de t'écouter.

MORON.
Hé ! demeure un peu.

PHILIS.
Je ne saurais.

MORON.
De grâce !

PHILIS.
Point, te dis-je.

MORON, retenant Philis.
Je ne te laisserai point aller...

PHILIS.
Ah ! que de façons !

MORON.
Je ne te demande qu'un moment à être avec toi.

PHILIS.
Hé bien ! oui j'y demeurerai, pourvu que tu me promettes une chose.

MORON.
Et quelle ?

PHILIS.
De ne point me parler du tout.

MORON.
Hé ! Philis.

PHILIS.
A moins que de cela, je ne demeurerai point avec toi.

MORON.
Veux-tu me... ?

PHILIS.
Laisse-moi aller.

MORON.
Hé bien !  oui, demeure. Je ne te dirai mot.

PHILIS.
Prends-y bien garde, au moins ; car, à la moindre parole, je prends la fuite.

MORON.
Soit. (Après avoir fait une scène de gestes.) Ah ! Philis !... Hé !... Elle s'enfuit, et je ne saurais l'attraper. Voilà ce que c'est. Si je savais chanter, j'en ferais bien mieux mes affaires. La plupart des femmes aujourd'hui se laissent prendre par les oreilles ; elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons et les petits vers qu'on leur fait entendre. Il faut que j'apprenne à chanter pour faire comme les autres. Bon, voici justement mon homme.

 Scène II : Un Satyre, Moron.

LE SATYRE chante.
La, la, la.

MORON.
Ah ! Satyre, mon ami, tu sais bien ce que tu m'as promis, il y a longtemps. Apprends-moi à chanter, je te prie.

LE SATYRE.
Je le veux. Mais aupravant, écoute une chanson que je viens de faire.

MORON, bas, à part.
Il est si accoutumé à chanter, qu'il ne saurait parler d'autre façon. (Haut.) Allons, chante, j'écoute.

LE SATYRE chante.
Je portais...

MORON.
Une chanson dis-tu ?

LE SATYRE.
Je port...

MORON.
Une chanson à chanter ?

LE SATYRE.
Je port...

MORON.
Chanson amoureuse ? Peste !

LE SATYRE.
Je portais dans une cage
Deux oiseaux que j'avais pris,
Lorsque la jeune Chloris
Fit dans un sombre bocage,
Briller, à mes yeux surpris,
Les fleurs de son beau visage.
Hélas ! dis-je aux moineaux, en recevant les coups
De ses yeux si savants à faire des conquêtes,
Consolez-vous, pauvres petites bêtes :
Celui qui vous a pris est bien plus pris que vous.

Moron demande au Satyre une chanson plus passionnée, et le prie de lui dire celle qu'il avait ouï chanter quelques jours auparavant.

LE SATYRE chante.
Dans vos chants si doux
Chantez à ma belle,
Oiseaux, chantez tous
Ma peine mortelle.
Mais si la cruelle
Se met en courroux
Au récit fidèle
Des maux que je sens pour elle,
Oiseaux, taisez-vous,
Oiseaux, taisez-vous.

MORON.
Ah ! qu'elle est belle ! Apprends-la-moi.

LE SATYRE.
La, la, la, la.

MORON.
La, la, la, la.

LE SATYRE.
Fa, fa, fa, fa.

MORON.
Fa toi-même.

Entrée de ballet

Le Satyre se met en colère, menace Moron, et plusieurs Satyres dansent une entrée plaisante.

(Le Satyre s'en mit en colère, et peu à peu se mettant en posture d'en venir à des coups de poing, les violons reprirent un air sur lequel ils dansèrent une plaisante entrée.)

ACTE TROISIEME DE LA PIECE.

Suite de la comédie amoureuse entre le Prince et la Princesse. La princesse désireuse de connaître les sentiments du prince prend Moron, ami du prince, comme allié et comme confident.

QUATRIEME INTERMEDE.

 Scène I : Philis, Tircis.

PHILIS.
Viens, Tircis ; laissons-les aller, et me dis un peu ton martyre de la façon que tu sais faire. Il y a longtemps que tes yeux me parlent ; mais je suis plus aise d'ouïr ta voix.

TIRCIS chante.
Tu m'écoutes, hélas ! dans ma triste langueur ;
Mais je n'en suis pas mieux, ô beauté sans pareille ;
Et je touche ton oreille
Sans que je touche ton coeur.

PHILIS.
Va, va, c'est déjà quelque chose que de toucher l'oreille, et le temps amène à tout. Chante-moi cependant quelque plainte nouvelle que tu aies composée pour moi.

 Scène II : Moron, Philis, Tircis.

MORON.
Ah ! ah ! je vous y prends, cruelle ! Vous vous écartez des autres pour ouïr mon rival !

PHILIS.
Oui, je m'écarte pour cela. Je te le dis encore, je me plais avec lui ; et l'on écoute volontiers les amants lorsqu'ils se plaignent aussi agréablement qu'il le fait. Que ne chantes-tu comme lui ? Je prendrais plaisir à t'écouter.

MORON.
Si je en sais chanter, je sais faire autre chose ; et quand...

PHILIS.
Tais-toi. Je veux l'entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.

MORON.
Ah, cruelle !

PHILIS.
Silence, dis-je, ou je me mettrai en colère.

TIRCIS chante.
Arbres épais, et vous, prés émaillés,
La beauté dont l'hiver vous avait dépouillés
Par le printemps, vous est rendue.
Vous reprenez tous vos appas ;
Mais mon âme ne reprend pas
La joie, hélas ! que j'ai perdue !

MORON.
Morbleu ! que n'ai-je de la voix ! Ah ! nature marâtre, pourquoi ne m'as-tu pas donné de quoi chanter comme un autre ?

PHILIS.
En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l'emportes sur tous les rivaux que tu as.

MORON.
Mais pourquoi est-ce que je ne puis pas chanter ? N'ai-je pas un estomac, un gosier et une langue comme un autre ? Oui, oui, allons. Je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voisi une chanson que j'ai faite pour toi.

PHILIS.
Oui, dis. Je veux bien t'écouter, pour la rareté du fait.

MORON.
Courage, Moron. Il n'y a qu'à avoir de la hardiesse.
(Il chante.)
Ton extrême rigueur
S'acharne sur mon coeur.
Ah ! Philis, je trépasse ;
Daigne me secourir.
En seras-tu plus grasse
De m'avoir fait mourir ?

Vivat ! Moron.

PHILIS.
Voilà qui est le mieux du monde. Mais, Moron, je souhaiterais bien d'avoir la gloire que quelque amant fût mort pour moi. C'est un avantage dont je n'ai point encore joui ; et je trouve que j'aimerais de tout mon coeur une personne qui m'aimerait assez pour se donner la mort.

MORON.
Tu aimerais une personne qui se tuerait pour toi ?

PHILIS.
Oui.

MORON.
Il ne faut que cela pour te plaire ?

PHILIS.
Non.

MORON.
Voilà qui est fait. Je veux te montrer que je me sais tuer quand je veux.

TIRCIS chante.
Ah ! quelle douceur extrême
De mourir pour ce qu'on aime !

MORON à Tircis.
C'est un plaisir que vous aurez quand vous voudrez.

TIRCIS chante.
Courage, Moron. Meurs promptement
En généreux amant.

MORON, à Tircis.
Je vous prise de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte à tous les amants. (A Philis.) Tiens, je ne suis pas un homme à faire tant de façons.
Vois ce poignard. Prends bien garde comme je vais me percer le coeur. (Se riant de Tircis.) Je suis votre serviteur. Quelque niais.

PHILIS.
Allons, Tircis. Viens t'en me redire à l'écho ce que tu m'as chanté.

ACTE QUATRIEME DE LA PIECE.

Suite des péripéties amoureuses du prince et de la princesse.

CINQUIEME INTERMEDE.

 Scène I : Climène, Philis.

CLIMENE chante.
Chère Philis,dis-moi, que crois-tu de l'amour ?

PHILIS chante.
Toi-même, qu'en crois-tu, ma compagne fidèle ?

CLIMENE.
On m'a dit que sa flamme est pire qu'un vautour,
Et qu'on souffre, en aimant, une peine cruelle.

PHILIS.
On m'a dit qu'il n'est point de passion plus belle,
Et que ne pas aimer, c'est renoncer au jour.

CLIMENE.
A qui des deux donnerons-nous la victoire ?

PHILIS.
Qu'en croirons-nous, ou le mal, ou le bien ?

TOUTES DEUX ENSEMBLE.
Aimons, c'est le vrai moyen
De savoir ce qu'on en doit croire

PHILIS.
Chloris vante partout l'amour et ses ardeurs.

CLIMENE.
Amarante pour lui verse en tous lieux des larmes.

PHILIS.
Si de tant de tourments il accable les coeurs,
D'où vient qu'on aime à lui rendre les armes ?

CLIMENE.
Si sa flamme, Philis, est si pleine de charmes,
Pourquoi nous défend-on d'en goûter les douceurs ?

PHILIS.
A qui des deux donnerons-nous victoire ?

CLIMENE.
Qu'en croirons-nous, ou le mal, ou le bien ?

TOUTES DEUX ENSEMBLE.
Aimons, c'est le vrai moyen
De savoir ce qu'on doit en croire.

LA PRINCESSE les interrompt en cet endroit  et leur dit :
Achevez seules, si vous le voulez. Je ne saurais demeurer en repos ; et quelque douceurs qu'aient vos chants, ils ne font que redoubler mon inquiétude.

 

ACTE CINQUIEME ET DERNIER.

Comme on s'en doute, tout se termine bien, et Philis annonce que les pasteurs et les bergères chantent et dansent pour exprimer leur joie.

SIXIEME INTERMEDE

Choeur de pasteur et de bergers qui dansent.

Usez mieux, ô beautés fières,
Du pouvoir de tout charmer :
Aimez, aimables bergères ;
Nos coeurs sont faits pour aimer.
Quelque fort qu'on s'en défende,
Il faut y venir un jour ;
Il n'est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l'amour.

Songez de bonne heure à suivre
Le plaisir de s'enflammer.
Un coeur ne commence à vivre
Que du jour qu'il sait aimer.
Quelque fort qu'on s'en défende,
Il faut y venir un jour ;
Il n'est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l'amour.

(Quatre bergers et deux bergères héroïques, représentés les premiers par les sieurs le Gros, Estival, Don et Blondel, et les deux bergères par Melle La Barre et Melle Hilaire, se prenant par la main, chantèrent cette chanson à danser à laquelle les autres répondirent. Pendant que ces aimables personnes dansaient, il sortit de dessous le théâtre la machine d'un grand arbre chargé de seize faunes, dont les huit jouèrent de la flûte et les autres du violon, avec un concert le plus agréable du monde. Trente violons leur répondaient de l'orchestre, avec six autres concertants de clavecin et de théorbes, qui étaient les sieurs d'Anglebert, Richard, Itier, la Barre le cadet, Tissu et le Moine.
Et quatre bergers et quatre bergères vinrent danser une fort belle entrée, à laquelle les faunes descendant de l'arbre se mêlèrent de temps en temps, et toute cette scène fut si grande, si remplie, si agréable, qu'il ne s'était encore rien vu de plus beau en ballet.
Aussi fit-elle une avantageuse conclusion aux divertissements de ce jour que toute la cour ne le loua pas moins que celui qui l'avait précédé, se retirant avec une satisfaction qui lui fit bien espérer de la suite d'une fête si complète.
Les bergers étaient les sieurs Chicanneau, du Pron, Noblet et La Pierre, et les bergères les sieurs Baltazard, Magny, Arnald et Bonard.
)