Les Sereines

Mascarade par Pierre de Ronsard

 

Les Sereines (1564)
Représentées au canal de Fontainebleau

La première parle
De l'immortel les Rois sont les enfants,
Ils ont par lui leurs Lauriers triomphans,
Ils sont par lui reverez en la terre,
Ils ont de Dieu le portrait sur le front :
Dieu les inspire, et tout cela qu'ils font
Vient du grand Dieu qui darde le tonnerre.

Or ce grand Dieu, à l'exemple de soy
Fist pour miracle en France naistre un Roy,
Dont la semence à nulle autre seconde
Estoist parfaite, et comme le Soleil
Qui de clarté ne trouve son pareil,
Vesquit sans pair, tant qu'il vesquit au monde.

Ce fut Henry de tous biens accompli,
D'une ame vive ayant le corps rempli,
Semblable aux Dieux de façons et de gestes :
Son esprit fut embelli de vertu :
Car en naissant du Ciel il avoit eu
Tout le bon-heur des lumieres celestes.

Il fut en guerre un Prince tres-vaillant,
Soigneux, actif, diligent et veillant,
Voire et sembloit que Mars luy fist service :
En temps de paix son peuple corrigeoit,
Chassoit le mal de sa terre, et logeoit
Par les citez la crainte de Justice.

Or, tout ainsi qu'il estoit parfait,
Tel comme luy son peuple s'estoit fait :
Vertu regnoit par toute sa contrée,
Qui d'un chacun le rendoit honoré :
Et bref c'estoit le bel âge doré
Où fleurissoit Saturne avec Astrée.

Pour faire honneur à un siècle si beau
(Qui ressembloit à ce monde nouveau
Quand nos ayeuls n'estoyent tels que nous sommes)
Apparoissoyent les Nymphes et les Dieux,
Et sans avoir un voile sur les yeux,
Ne desdaignoient la presence des hommes.

Par les forests les Sylvains habitoyent,
Faunes et Pans aux bocages chantoyent,
Et sur les monts dansoyent les Oreades :
La mer avoient son Glauque et son Neptun,
Desur les bords venoit jouer Portun,
Et les ruisseaux abondoyent des Naiades.

Mais quand le Ciel qui ne se peut flechir
Par nos souspirs, se voulut enrichir,
Ô Ciel cruel ! de la mort d'un tel Prince,
Le monde fut despouillé de bon-heur,
Fut dévestu d'ornement et d'honneur,
Et la Vertu laissa nostre province.

En lieu de paix, d'amour et de bonté
Vint la malice au visage eshonté,
Haines, discords et factions de villes :
Desir de sang les hommes fist armer,
L'ambition apres vint allumer
Le grand brazier des querelles civiles.

Le peuple adonc, transporté d'appetit,
Tout insensé d'armes se revestit :
Lors la raison dessous les pieds fut mise :
Bref le François par sa desloyauté
De son pays arracha la beauté,
Comme un jardin saccagé de la Bise.

Alors les Dieux, d'un tel fait desplaisans,
Voyans la Royne et ses fils en bas ans
De tous costez tourmentez de la guerre,
Pour ne souiller leurs yeux en regardant
Le sang versé dessous le fer ardant,
Par grand despit se cacherent sous la terre.

L'un s'enferma dans le creux d'un rocher,
L'autre s'en alla dans un arbre cacher,
L'autre en un antre, et l'autre sous les ondes :
Ainsi que nous, qui depuis ce temps-là
Que le malheur d'ici nous exila,
N'avions au Ciel monstré nos tresses blondes :

Sinon ce jour de longs temps attendu,
Où Charles Roy de Henry descendu,
Vray heritier des vertus de son père,
Desur son peuple a maintenant pouvoir :
Et c'est pourquoy nous venons ici voir
Ce jeune Prince en qui la France espere.

Nous venons donc, ô Roy, selon raison,
Te saluer en la belle maison
Que ta largesse à ton frère a donnée :
Où s'il te plaist, pour te rendre plus seur
De l'advenir, oy les vers de ma Soeur,
Qui va chanter toute ta destinée.

PROPHETIE DE LA SECONDE SEREINE

Ô Prince heureusement bien-né,
Qui fus beni dés ta naissance
Par l'Eternel, qui t'a donné
Toutes vertus en abondance,

Crois crois, et d'une majesté
Monstre toy le fils de ton pere
Et porte a front la chasteté
Qui reluit aux yeux de ta mere.

Car estant comme tu es
Aux vertus nourri dés jeunesse,
Tu passeras tous les mortels
De bon esprit et de prouesse.

La France se peut asseurer
De se voir soudain estrenée
Des honneurs qu'on doit esperer
D'une Royauté bien-née.

Et bien qu'on puisse appercevoir
Par les rayons de ta lumiere
L'heureuse fin que doit avoir
Un fils nourri de telle mere :

Si veux-je encor pour l'avenir
(Des destins Prophetes nous sommes)
T'ouvrir ce qui ne peut venir
En la cognoissance des hommes.

Non seulement pacifiras
Du tout la France discordante,
Mais plus que jamais la feras
De biens et d'honneurs abondante.

Et menant en guerre avec toy
Ton frere appuy de tes louanges,
Vainqueur des Rois, le feras Roy
De maintes nations estrangeres.

Sous toy la malice mourra,
L'erreur, la fraude et l'impudence,
Et le mensonge ne pourra
Resister devant ta prudence.

Puis ayant vescu comme il faut,
Despouilleras le mortel voile,
Et pres de ton pere là haut
Tu seras une belle estoile.

Et toy mere resjouy toy
Mere sur toutes vertueuse,
Qui a nourri ce jeune Roy
D'une prudence si soigneuse.

Bien tost auras de tes travaux
La recompense seure et bonne,
Quand tu verras tous ses vassaux
S'humilier sous la Couronne.

Et toy son frere, en qui respand
Le Ciel son heureuse influence,
Ta force et grandeur ne depend
Qu'à luy porter obeyssance.

Ton avantage vient du sien,
Ta gloire sans la sienne est vaine,
Ton bien procede de son bien
Comme un ruisseau de sa fontaine.

Vivez donc amiablement,
Faisans vos noms par tout espandre,
Vivez tous trois heureusement,
Charles, Catherine, Alexandre.