Sur l'utilité des Fêtes
& des Divertissements

Louis XIV - Extrait de ses Mémoires

 

Sur l'utilité des Divertissements, à propos du Carrousel des 5 & 6 juin 1662 :

Je ne vous dirai pas seulement, comme à un simple particulier, que les plaisirs honnêtes ne nous ont pas été donnés sans raison par la nature ; qu'ils délassent du travail, fournissant de nouvelles forces pour s'y appliquer, servent à la santé, calment les troubles de l'âme et l'inquiétude des passions, inspirent l'humanité, polissent l'esprit, adoucissent les mœurs, et ôtent à la vertu je ne sais quelle trempe trop aigre, qui la rend quelquefois moins sociable et par conséquent moins utile.
Un prince, et un roi de France, peut encore considérer quelque chose de plus dans ces divertissements publics, qui ne sont pas tant les nôtres que ceux de notre cour et de tous nos peuples… Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la cour une honnête familiarité avec nous les touche et les charme plus qu'on ne peut dire. Les peuples, d'un autre côté, se plaisent au spectacle, où au fond on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu'ils aiment, ou à quoi il réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l'égard des étrangers, dans un État qu'ils voient florissant d'ailleurs et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur, sans compter encore que l'adresse en tous les exercices du corps, qui ne peut être entretenue et confirmée que par là, est toujours de bonne grâce à un prince, et fait juger avantageusement, par ce qu'on voit, de ce qu'on ne voit pas.
Toutes ces considérations, mon fils, quand mon âge et mon inclination ne m'y auraient pas porté, m'obligeaient à favoriser des divertissements de cette nature, et vous obliger de même…