Le Grand Divertissement de Versailles

juillet 1668

 

 

Organisé par Colbert, le duc de Créquy, et le maréchal de Bellefond, Le Grand Divertissement Royal de Versailles est une pastorale avec chants et danses, de Lully,  dans laquelle est enchâssée le comédie Georges Dandin, de Molière. Les auteurs ont choisi, pour cette représentation d'entremêler deux intrigues totalement différentes, d'une part la pastorale, avec ses histoires de bergers, et d'autre par Georges Dandin, l'histoire d'un riche paysan trahi par sa jeune femme, qu'il a eu l'imprudence de choisir dans le milieu de la petite noblesse. La nouveauté, c'est que les personnages des deux intrigues communiquent. Les ballets et les morceaux chantés sont toujours placés entre les actes de la comédie, mais les bergères de la pastorale font irruption dans les actes de la comédie pour venir raconter leurs malheurs ou leurs bonheurs à Georges Dandin.

La représentation fut donnée dans un salon construit dans les jardins, devant plus de deux mille personnes - environ 1200 sur des sièges en amphithéâtre, et un peu plus au parterre. L'ouverture de la scène était encadrées par deux figures dont une représentait la Paix, et l'autre la Victoire. La Paix d'Aix-la-Chapelle avait été conclu en mai. La scène était un jardin avec statues, vases dorés, architectures, terrasses, un canal et de véritables jets d'eau.

Le Grand Divertissement Royal de Versailles
&
Georges Dandin

Introduction aux Divertissement, extraite du livret distribué au public lors de la représentation. Elle commence par un compliment au Roi :

Du Prince des Français rien ne borne la gloire,
A tout elle s'étend, et chez les nations,
Les Vérités de son histoire
Vont passer des vieux temps toutes les fictions :
On aura beau chanter les restes magnifiques
De tous ces destins héroïques
Qu'un bel art prit plaisir d'élever jusqu'aux Cieux.
On en voit par ses faits la splendeur effacée,
Et tous ces fameux demi-dieux
Dont fait bruit l'histoire passée,
Ne sont point à notre pensée
Ce que Louis est à nos yeux.

Une grande partie est ensuite consacrée à la glorification de ses hauts faits. La fête y est perçue comme un aboutissement de ses exploits et une manifestation de sa grandeur :

Cette nouvelle fête de Versailles le montre pleinement, ce sont des prodiges et des miracles aussi bien que le reste de ses actions ; et si vous avez vu sur nos frontières les provinces conquises en une semaine d'hiver, et les puissantes villes forcées en faisant son chemin (les armées du roi venaient de reconquérir la Franche-Comté), on en voit ici sortir, en moins de rien, su milieu des jardins les superbes palais et les magnifiques théâtres, de tous côtés enrichis d'or et de grandes statues, que la verdure égaie, et que cent jets d'eau rafraîchissent. On ne peut rien imaginer de plus pompeux ni de plus surprenant...

La partie suivante est consacrée à l'auteur, Molière, et au compositeur, Lully. La présentation met l'accent sur la nouveauté du spectacle qui y est donné :

Notre nation n'est guère faite à la comédie en musique, et je ne puis pas répondre comment cette nouveauté-ci réussira. [...] Mais, enfin, il est assuré, au sentiment des connaisseurs qui ont vu la répétition, que Lully n'a jamais rien fait de plus beau, soit pour la musique, soit pour les danses, et que tout y brille d'invention. En vérité, c'est un admirable homme, et le Roi pourrait perdre beaucoup de gens considérables qui ne lui seraient pas si malaisés à remplacer que celui-là. Toute l'affaire se passe dans une grande fête champêtre.

Ouverture : le paysan de la comédie, Georges Dandin, est en scène, rêveur. Quatre bergers de la pastorale, déguisés en valets de fêtes, entrent, suivis de quatre bergers joueurs de flûte. Ils font une danse qui interrompt les rêveries du paysan et ils l'importunent tant qu'ils l'obligent à se retirer. Entrent alors les deux bergères Cloris et Climène. Au son des flûtes, elles chantent "L'autre jour d'Annette", une chansonnette sur les souffrances de l'amour. Tircis et Philène, les deux amants des bergères entrent ; ensemble ils chantent la scène suivante

Scène en musique (pastorale), c'est à dire une scène totalement chantée ("Laissez-nous en repos, Philène") à la fin de laquelle les deux bergers quittent leurs bergères complètement désespérés par leur dureté et songeant à mourir.

Premier acte (comédie). C'est la pièce de théâtre. Durant la dernière scène de l'acte, Georges Dandin est à nouveau interrompu, cette fois par la bergère Cloris qui vient déplorer la mort de son amant.

Plainte de Cloris (pastorale), qui chante "Ah ! Mortelles douleurs !".

Deuxième acte (comédie), interrompu de la même manière que le précédent, par Cloris.

Récit de Cloris (pastorale), qui vient dire à Dandin que les deux amants ne sont pas morts, comme elle le croyait, qu'ils ont été sauvés par six bateliers qu'elle lui montre, mais qu'il ne veut pas voir. Danse des bateliers.

Troisième acte (comédie). Cet acte voit le comble des douleurs de Georges Dandin, mari trompé, à qui un ami conseille de noyer ses peines dans le vin, et l'irruption, à la fin, des bergers heureux venus célébrer les pouvoirs de l'Amour.

Dénouement (pastorale), Cloris chante "Ici l'ombre des Ormeaux", Climène, Cloris et Philène lui répondent et ils chantent en choeur un hymne à l'Amour :

Chantons tous l'amour le pouvoir adorable",
Chantons tous dans ces lieux
Ses attraits glorieux ;
Il est le plus aimable
Et le plus grand des Dieux.

A peine ont-ils terminé qu'arrive la troupe de Bacchus, qui revendique la suprématie de leur dieu, l'un d'eux chante :

Arrêtez, c'est trop entreprendre,
Un autre Dieu dont nous suivons les lois
S'oppose à cet honneur qu'à l'Amour osent rendre
Vos musettes et vos voix :
A des titres si beaux, Bacchus seul peut prétendre,
Et nous sommes ici pour défendre ses droits.

Choeur de Bacchus
Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable,
Nous suivons en tous lieux
Ses attraits glorieux,
Il est le plus aimable,
Et le plus grand des Dieux.

Le groupe de Bacchus se mêle à la danse et commence un combat de danseur contre danseur, de chantre contre chantre, et de choeur contre choeur. Mais tous finissent par se réconcilier.

Le Divertissement se termine sur cet air chanté par les deux choeurs rassemblés :

Mêlons donc leurs douceurs aimables,
Mêlons nos voix dans ces lieux agréables,
Et faisons répéter aux Echos d'alentour
Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour.

Ce divertissement était lui-même un des moments d'une fête somptueuse de plusieurs jours où les collations étaient présentées sous forme d'architectures, palais de fruits confits ou de massepains.

En ce qui concerne l'imbrication des deux intrigues, un nouveau pas est franchi vers l'intégration des genres dans un même spectacle. Les auteurs parviennent même à tirer un effet de ce pari impossible, en faisant progresser les intrigues de manière totalement opposées ; Dandin va de l'inquiétude  au complet désespoir, tandis que dans le même temps l'intrigue des  bergers va dans le sens d'une plus grande joie. Les bergers exaltent l'Amour alors même que Georges Dandin lui doit son malheur. Bel exercice de virtuosité de la part de Molière.