Organisé
par Colbert, le duc de Créquy, et le maréchal de Bellefond,
Le Grand Divertissement Royal de Versailles est une pastorale
avec chants et danses, de Lully, dans laquelle est enchâssée
le comédie Georges Dandin, de Molière. Les auteurs
ont choisi, pour cette représentation d'entremêler deux intrigues
totalement différentes, d'une part la pastorale, avec ses histoires
de bergers, et d'autre par Georges Dandin, l'histoire d'un riche
paysan trahi par sa jeune femme, qu'il a eu l'imprudence de choisir
dans le milieu de la petite noblesse. La nouveauté, c'est que
les personnages des deux intrigues communiquent. Les ballets et
les morceaux chantés sont toujours placés entre les actes de la
comédie, mais les bergères de la pastorale font irruption dans
les actes de la comédie pour venir raconter leurs malheurs ou
leurs bonheurs à Georges Dandin.
La
représentation fut donnée dans un salon construit dans les jardins,
devant plus de deux mille personnes - environ 1200 sur des
sièges en amphithéâtre, et un peu plus au parterre. L'ouverture
de la scène était encadrées par deux figures dont une représentait
la Paix, et l'autre la Victoire. La Paix d'Aix-la-Chapelle avait
été conclu en mai. La scène était un jardin avec statues, vases
dorés, architectures, terrasses, un canal et de véritables jets
d'eau.
Le
Grand Divertissement Royal de Versailles
&
Georges Dandin
Introduction
aux Divertissement, extraite du livret distribué au public lors
de la représentation. Elle commence par un compliment au
Roi :
Du
Prince des Français rien ne borne la gloire,
A tout elle s'étend, et chez les nations,
Les Vérités de son histoire
Vont passer des vieux temps toutes les fictions :
On aura beau chanter les restes magnifiques
De tous ces destins héroïques
Qu'un bel art prit plaisir d'élever jusqu'aux Cieux.
On en voit par ses faits la splendeur effacée,
Et tous ces fameux demi-dieux
Dont fait bruit l'histoire passée,
Ne sont point à notre pensée
Ce que Louis est à nos yeux.
Une
grande partie est ensuite consacrée à la glorification de ses
hauts faits. La fête y est perçue comme un aboutissement de ses
exploits et une manifestation de sa grandeur :
Cette
nouvelle fête de Versailles le montre pleinement, ce sont des
prodiges et des miracles aussi bien que le reste de ses actions ;
et si vous avez vu sur nos frontières les provinces conquises
en une semaine d'hiver, et les puissantes villes forcées en faisant
son chemin (les armées du roi venaient de reconquérir la Franche-Comté),
on en voit ici sortir, en moins de rien, su milieu des jardins
les superbes palais et les magnifiques théâtres, de tous côtés
enrichis d'or et de grandes statues, que la verdure égaie, et
que cent jets d'eau rafraîchissent. On ne peut rien imaginer de
plus pompeux ni de plus surprenant...
La
partie suivante est consacrée à l'auteur, Molière, et au compositeur,
Lully. La présentation met l'accent sur la nouveauté du spectacle
qui y est donné :
Notre
nation n'est guère faite à la comédie en musique, et je ne puis
pas répondre comment cette nouveauté-ci réussira. [...] Mais,
enfin, il est assuré, au sentiment des connaisseurs qui ont vu
la répétition, que Lully n'a jamais rien fait de plus beau, soit
pour la musique, soit pour les danses, et que tout y brille d'invention.
En vérité, c'est un admirable homme, et le Roi pourrait perdre
beaucoup de gens considérables qui ne lui seraient pas si malaisés
à remplacer que celui-là. Toute l'affaire se passe dans une grande
fête champêtre.
Ouverture :
le paysan de la comédie, Georges Dandin, est en scène, rêveur.
Quatre bergers de la pastorale, déguisés en valets de fêtes, entrent,
suivis de quatre bergers joueurs de flûte. Ils font une danse
qui interrompt les rêveries du paysan et ils l'importunent tant
qu'ils l'obligent à se retirer. Entrent alors les deux bergères
Cloris et Climène. Au son des flûtes, elles chantent "L'autre
jour d'Annette", une chansonnette sur les souffrances
de l'amour. Tircis et Philène, les deux amants des bergères entrent
; ensemble ils chantent la scène suivante
Scène
en musique (pastorale), c'est à dire une scène totalement
chantée ("Laissez-nous en repos, Philène") à la fin
de laquelle les deux bergers quittent leurs bergères complètement
désespérés par leur dureté et songeant à mourir.
Premier
acte (comédie). C'est la pièce de théâtre. Durant la
dernière scène de l'acte, Georges Dandin est à nouveau interrompu,
cette fois par la bergère Cloris qui vient déplorer la mort de
son amant.
Plainte
de Cloris (pastorale), qui chante "Ah ! Mortelles
douleurs !".
Deuxième
acte (comédie), interrompu de la même manière que le
précédent, par Cloris.
Récit
de Cloris (pastorale), qui vient dire à Dandin que
les deux amants ne sont pas morts, comme elle le croyait, qu'ils
ont été sauvés par six bateliers qu'elle lui montre, mais qu'il
ne veut pas voir. Danse des bateliers.
Troisième
acte (comédie). Cet acte voit le comble des douleurs
de Georges Dandin, mari trompé, à qui un ami conseille de noyer
ses peines dans le vin, et l'irruption, à la fin, des bergers
heureux venus célébrer les pouvoirs de l'Amour.
Dénouement
(pastorale), Cloris chante "Ici l'ombre des Ormeaux",
Climène, Cloris et Philène lui répondent et ils chantent en choeur un
hymne à l'Amour :
Chantons
tous l'amour le pouvoir adorable",
Chantons tous dans ces lieux
Ses attraits glorieux ;
Il est le plus aimable
Et le plus grand des Dieux.
A
peine ont-ils terminé qu'arrive la troupe de Bacchus, qui revendique
la suprématie de leur dieu, l'un d'eux chante :
Arrêtez,
c'est trop entreprendre,
Un autre Dieu dont nous suivons les lois
S'oppose à cet honneur qu'à l'Amour osent rendre
Vos musettes et vos voix :
A des titres si beaux, Bacchus seul peut prétendre,
Et nous sommes ici pour défendre ses droits.
Choeur
de Bacchus
Nous suivons de
Bacchus le pouvoir adorable,
Nous suivons en tous lieux
Ses attraits glorieux,
Il est le plus aimable,
Et le plus grand des Dieux.
Le
groupe de Bacchus se mêle à la danse et commence un combat de
danseur contre danseur, de chantre contre chantre, et de choeur
contre choeur. Mais tous finissent par se réconcilier.
Le
Divertissement se termine sur cet air chanté par les deux choeurs
rassemblés :
Mêlons
donc leurs douceurs aimables,
Mêlons nos voix dans ces lieux agréables,
Et faisons répéter aux Echos d'alentour
Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour.
Ce
divertissement était lui-même un des moments d'une fête somptueuse
de plusieurs jours où les collations étaient présentées sous forme
d'architectures, palais de fruits confits ou de massepains.
En
ce qui concerne l'imbrication des deux intrigues, un nouveau pas
est franchi vers l'intégration des genres dans un même spectacle.
Les auteurs parviennent même à tirer un effet de ce pari impossible,
en faisant progresser les intrigues de manière totalement opposées ;
Dandin va de l'inquiétude au complet désespoir, tandis que
dans le même temps l'intrigue des bergers va dans le sens
d'une plus grande joie. Les bergers exaltent l'Amour alors même
que Georges Dandin lui doit son malheur. Bel exercice de virtuosité
de la part de Molière.
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