Le Ballet de la Reine

31 janvier 1609

 

 

Le samedi 31e et dernier de ce mois (janvier), la Roine fist, à Paris, son Balet magnifique, dès long-temps pourpensé par elle et dessiné, mais différé jusques à ce jours. Et ne fust qu'en deux lieux, à l'Arsenal et chez la Roine Marguerite, où Leurs Majestés trouvèrent la collation magnifique et somptueuse, que ladite dame leur avoit fait apprester (qu'on disait lui revenir à quatre mil escus). Entre les singularités de laquelle y avoit trois plats d'argent, accomodés exprès à cet effect, en l'un desquels y avoit un grenadier, en l'autre un oranger, et en l'autre un citronnier, si dextrement et artificieusement représentés et desguisés, qu'il n'y avoit personne qui ne les prist pour naturels. Et estoit si heures du matin, quand le Roi et la Roine en sortirent. La petite Paulette emporta l'honneur du balet, tant par ses bonnes graces que par sa voix harmonieuse et délicate (qu'on disoit, au jugement mesme du Roi surpasser en bonté et douceur celle du sieur de Vaumesnil) : joint que ceste petite chair blanche, polie, délicate, couverte d'un simple crespe fort délié, mettoit en goust et en appétit plusieurs personnes.

.L'Ambassadeur d'Angleterre vit ce beau balet à l'Arsenal ; et celui d'Espagne, dom Phèdre, au logis de la Roine Marguerite, pour en prendre (disoit-on) un plan, et l'envoier à l'Archiduc, pour le faire imprimer, en Espagne, en tablature de taille-douce.

Le refrain du balet et de la balade (comme on dit) fust une querelle de gentilshommes, prise au logis de la Roine Marguerite : chose assez commune et ordinaire en ce siècle fertile en toutes sortes de desbauches et meschancetés.

P. de L'Estoile, Mémoires-Journaux pour le règne de Henri IV.