Le
samedi 31e et dernier de ce mois (janvier), la Roine fist, à
Paris, son Balet magnifique, dès long-temps pourpensé
par elle et dessiné, mais différé jusques
à ce jours. Et ne fust qu'en deux lieux, à l'Arsenal
et chez la Roine Marguerite, où Leurs Majestés trouvèrent
la collation magnifique et somptueuse, que ladite dame leur avoit
fait apprester (qu'on disait lui revenir à quatre mil escus).
Entre les singularités de laquelle y avoit trois plats
d'argent, accomodés exprès à cet effect,
en l'un desquels y avoit un grenadier, en l'autre un oranger,
et en l'autre un citronnier, si dextrement et artificieusement
représentés et desguisés, qu'il n'y avoit
personne qui ne les prist pour naturels. Et estoit si heures du
matin, quand le Roi et la Roine en sortirent. La petite Paulette
emporta l'honneur du balet, tant par ses bonnes graces que par
sa voix harmonieuse et délicate (qu'on disoit, au jugement
mesme du Roi surpasser en bonté et douceur celle du sieur
de Vaumesnil) : joint que ceste petite chair blanche, polie, délicate,
couverte d'un simple crespe fort délié, mettoit
en goust et en appétit plusieurs personnes.
.L'Ambassadeur
d'Angleterre vit ce beau balet à l'Arsenal ; et celui d'Espagne,
dom Phèdre, au logis de la Roine Marguerite, pour en prendre
(disoit-on) un plan, et l'envoier à l'Archiduc, pour le
faire imprimer, en Espagne, en tablature de taille-douce.
Le
refrain du balet et de la balade (comme on dit) fust une querelle
de gentilshommes, prise au logis de la Roine Marguerite : chose
assez commune et ordinaire en ce siècle fertile en toutes
sortes de desbauches et meschancetés.
P.
de L'Estoile, Mémoires-Journaux pour le règne
de Henri IV.

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