Ballet des Polonais

1573

 

 

Ce n'est doncq' pas sans une bonne et juste considération que cette sage et advisée Reyne (Catherine de Médicis) fist ceste despance comme ell'en fist aussi une fort belle à l'arrivée des Poulonnois à Paris, qu'elle festina fort superbement en ses Tuilleries : et après soupper, dans une grand'salle faicte à poste et toute entournée d'une infinité de flambeaux, elle leur représenta le plus beau ballet qui fut jamais faict au monde (je puis parler ainsin), lequel fut composé de seize Dames et Damoiselles des plus belles et des mieux aprises des siennes, qui comparurent dans ung grand roch tout argenté, où estoient estoient assises dans des niches en forme de nuées de tous costés. Ces seize Dames représentoient les seize  provinces de la France, avecques une musique la plus mélodieuse qu'on eust sceu veoir ; et amprès avoir faict dans ce roch le tour de la salle par parade comme dans ung camp, et aprez s'estre bien faict voir ainsin, elles vindrent toutes à descendre de ce roc, et s'estant mises en forme d'un petit bataillon  bisarrement inventé, les viollons montans jusques à une trentayne, sonnans quasy un air de guerre fort plaisant, elles vinrent marcher soubz l'ayr de ces viollons, et par une belle cadance sans sortir jamais, s'approcher et s'arrester un peu devant Leur Majestez, et puis amprès danser leur ballet si bizarrement inventé, et par tant de tours, contours et destours, d'entrelasseures et meslanges, affrontements et arretz, qu'aucune Dame jamais ne faillist de se trouver à son poinct ni à son rang : si bien que tout le monde s'esbahist que, parmy une telle confusion et ung tel désordre, jamais ne faillirent leur ordre, tant ces Dames avoient le jugement solide et la rétentive bonne, et s'estoient si bien apprises. Et dura ce ballet pour le moing une heure, lequel estant achevé, touttes ces Dames représentans lesdictes seize provinces que j'ai dict, vindrent à presenter au Roy, à la Reyne, au Roy de Poullongne, à Monsieur, son frere, et au Roy et Reyne de Navarre et autres grands de France et de Poullongne, chascune à chascun une placque toute d'or, grande comme la paume de la main, bien esmaillé et gentiment en oeuvre, où estoient gravez les fruictz et les singularitez de chasque province, en quoy elle estoit plus fertille, comme : la Provance des citrons et des oranges, en la Champaigne de bledz, en la Bourgongne des vins, en la Guienne des gens de guerre (grand honneur certes celuy-là pour la Guienne), et ainsin consecutivement de toutte autres Provinces.
 Brantôme, Recueil des Dames.