Fête de Villers-Cotterêts (II)

1722

 

Salle de la foire.

La foire que M. le duc d'Orléans avoit fait préparer avec magnificence, étoit établie dans la cour intérieure du château ; elle est quarrée & bâtie sur un dessein semblable à l'avant-cour.

Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelque détail de cette foire galante ; l'idée en est riante & magnifique, & peut lui peindre quelques-uns de ces traits saillans du génie aussi vaste qu'aimable du grand prince qui l'avoit imaginée.

On avoit laissé de grands espaces qui avoient la forme de rues, tout-au-tour de la cour, entre les boutiques & le milieu du terrein, qu'on avoit parqueté & élevé seulement d'une marche : ce milieu étoit destiné à une salle de bal ; & on n'avoit rien oublié de ce qui pouvoit la rendre aussi magnifique que commode.

La salle n'étoit séparée de ces especes de rues que par une banquette continue, couverte de velours cramoisi. Toute la cour qui renfermoit cette foire étoit couverte de fortes bannes soûtenues par des travées solides, qui servoient encore à suspendre vingt-quatre lustres. Toutes les différentes parties de cette foire étoient ornées d'une très-grande quantité de lustres ; & ces lumieres réfléchies sur des grands miroirs & trumeaux de glaces, étoient multipliées à l'infini.

On entroit dans cette foire par quatre passages qui répondoient aux escaliers du château ; ce lieu n'étant point quarré, & se trouvant plus long que large, les deux faces plus étroites étoient remplies par deux édifices élégans, & les deux autres faces étoient subdivisées en boutiques, séparées au milieu par deux petits théatres.

En entrant de l'avant-cour dans la foire, on rencontroit à droite le théatre de la comédie italienne, qui remplissoit seul une des faces moins larges de la cour. Il étoit ouvert par quatre pilastres peints en marbre blanc, cantonnés de demi-colonnes d'arabesque & de cariatides de bronze doré, qui portoient une corniche dorée, d'où pendoit une pente de velours à crépines d'or, chargée de festons de fleurs : au-dessus regnoit un pié-d'estal en balustrade de marbre blanc à moulure d'or, orné de compartimens, de rinceaux de feuilles entrelacées & liées avec des girandoles chargées de bougies.

On voyoit au haut de ce théatre les armes du Roi grouppées avec des guirlandes de fleurs ; le chiffre de S. M. figuré par deux L L entrelacées, paroissoit dans deux cartouches qui couronnoient les deux ouvertures faites aux deux côtés du théatre pour le passage des acteurs ; ces deux passages étoient doublés d'une double portiere de damas cramoisi à crépines d'or, festonnant sur le haut. Ce théatre élevé seulement de trois piés du rez-de-chaussée représentoit un temple de Bacchus dans un jardin à treillage d'or, couvert de vignes & de raisins. On voyoit la statue du dieu en marbre blanc, qu'environnoient les satyres en lui présentant leurs hommages.

Le théatre italien étoit occupé par deux acteurs & une actrice, Arlequin, Pantalon, & Silvia, qui, par des saillies italiennes & des scènes réjoüissantes, commençoient les plaisirs qu'on avoit répandus à chaque pas dans ce séjour.

Toutes les boutiques de cette foire brillante étoient séparées par deux pilastres de marbre blanc, de l'entre-deux desquels sortoient trois bras en hauteur, à plusieurs branches, garnis de bougies jusqu'au bas de la balustrade. Ces pilastres étoient cantonnés de colonnes arabesques, portant des vases de bronze doré, d'où paroissoient sortir des orangers chargés d'une quantité prodigieuse de fruits & de fleurs ; ils étoient alignés sur les galeries qui regnoient sur tout l'édifice autour de la foire.

Immédiatement au-dessus des boutiques, qui avoient environ huit piés de profondeur & quinze à seize de hauteur, regnoit tout-au-tour la balustrade dont il a été parlé : à chaque côté des orangers, qui étoient deux à deux, il y avoit une girandole garnie de bougies en pyramide ; & entre chaque grouppe d'orangers & de girandoles, il y avoit un ou plusieurs acteurs ou actrices de l'opéra, appuyés sur la balustrade, masqués en domino ou autre habit de bal, dont les couleurs étoient très-éclatantes ; ce qui formoit le tableau en même tems le plus surprenant & le plus agréable.

Chaque boutique étoit éclairée par quantité de bras à plusieurs branches & par deux lustres à huit bougies, qui se répétoient dans les glaces. A celles qui étoient destinées pour la bouche, il y avoit de plus des buffets rangés avec art & garnis de girandoles. Toutes les boutiques avoient pour couronnement un cartouche qui contenoit en lettres d'or le nom du marchand le plus connu de la cour, par rapport à la marchandise de la boutique. Les supports des cartouches étoient ornés des attributs qui pouvoient caractériser chaque négoce dans un goût noble. Les musiciens & musiciennes, danseurs & danseuses de l'opéra, vêtus d'habits galans faits d'étoffes brillantes, & cependant convenables aux marchands qu'ils représentoient, y distribuoient généreusement & à tous venans leur marchandise. La premiere boutique étoit celle du pâtissier, sous le nom de Godart ; elle étoit meublée d'un cuir argenté : le fond séparé au milieu par un trumeau de glace, laissoit voir dans ses côtés le lieu destiné au travail du métier, avec tous les ustensiles nécessaires ; la Thierry, danseuse, représentoit la pâtissiere ; elle avoit pour garçons Malterre & Javilliers, qui habillés de toile d'argent, & portant des clayons chargés de ratons tout chauds, couroient vîte les débiter dans la foire. Cette boutique étoit garnie de toute sorte de pâtisserie fine.

La boutique suivante avoit pour inscription Perdrigeon ; elle étoit meublée d'une tenture de brocatelle de Venise, & de glaces, & garnie de dragonnes brodées en or & en argent, noeuds d'épée & de cannes, ceinturons & bonnets brodés richement ; les rubans de toutes sortes de couleurs & d'or & d'argent, les plus à la mode & du meilleur goût, y pendoient en festons de tous côtés : le maître & la maîtresse de la boutique étoient représentés par Dumoulin danseur, & par la Rey, danseuse.

La troisieme boutique étoit un caffé ; on lisoit dans le cartouche le nom de Benachi. Elle étoit tendue d'un beau cuir doré avec des buffets chargés de tasses, soucoupes, & cabarets du Japon & des Indes, & de girandoles de lumieres qui se répétoient dans les trumeaux. Corbie & Julie, chanteur & chanteuse, déguisés en turc & turquesse, ainsi que Deshayes, chanteur, qui leur servoit de garçon, distribuoient le caffé, le thé, & le chocolat.

La quatrieme boutique élevée en théatre d'opérateur, étoit inscrite, le docteur Barry. La forme de ce théatre représentoit une place publique & les rues adjacentes. Scapin en opérateur, Trivelin son garçon, Paqueti en aveugle, & Flaminia femme de l'opérateur, remplissoient ce théatre, & contrefaisoient parfaitement le manége & l'éloquence des arracheurs de dents.

La cinquieme boutique représentoit un ridotto de Venise. Le meuble étoit de velours ; les trumeaux & les bougies y étoient répandus avec profusion. On voyoit plusieurs tables de bassette & de pharaon, tenues par des banquiers bien en fonds, & tous masqués à la vénitienne : c'étoient des courtisans, qui se démasquerent d'abord que le Roi parut.

La sixieme, intitulée Ducreux & Baraillon, avoit pour marchande la Duval, danseuse ; & pour marchandise, des masques, des habits de bal, & des dominos de toutes les couleurs & de toutes les tailles.

Dans la septieme, où étoient Saint-Martin & la Souris la cadette, habillés à l'allemande, on montroit un tableau changeant, d'une invention & d'une variété très-ingénieuse ; & un veau vivant ayant huit jambes. Cette loge étoit meublée de damas, & s'appelloit cadet.

On se trouvoit, en tournant, en face de la cour opposée à celle que remplissoit le théatre de la comédie italienne. Elle étoit décorée de la même ordonnance dans le dehors ; le dedans figuroit une superbe boutique de fayencier, meublée de damas cramoisi, & remplie de tablettes chargées de crystaux rares & singuliers, & de porcelaines fines, des plus belles formes, de la Chine, du Japon & des Indes, qui faisoient partie des lots que le Roi devoit tirer. Javilliers pere, & la Mangot, en hollandois & hollandoise, occupoient cette riche boutique, qui avoit pour inscription, Messager.

La premiere boutique après le magasin de porcelaine, en tournant toûjours à droite, étoit la loge des joüeurs de gobelets, habitée par eux-mêmes, & meublée de drap d'or, avec des glaces. Dans le cartouche étoient les noms de Baptiste & de Dimanche, fameux alors par leurs tours d'adresse.

La seconde, intitulée Lesgu & la Frenaye, & dont les officiers de M. le duc d'Orléans faisoient les honneurs, étoit la bijouterie ; elle étoit meublée de moire d'or, avec une pente autour, relevée en broderie d'or & ornée de glaces. Cette boutique étoit remplie de tout ce que l'on peut imaginer en bijoux précieux, exposés sur des tablettes ; d'autres étoient renfermés dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de curiosités indiennes.

La troisieme, portant le nom de Fredoc, étoit l'académie des jeux de dés, du biribi & du hoca, meublée d'un gros damas galonné d'or.

La quatrieme, faisant face au théatre de l'opérateur, étoit un jeu de marionnettes qui avoit pour titre, Brioché.

La cinquieme, nommée Procope, étoit meublée d'un cuir argenté, & ornée de buffets, de trumeaux, de glaces & de girandoles ; elle étoit destinée par la distribution de toutes les liqueurs fraîches, & des glaces. Buzeau en arménien, & la Perignon en arménienne, présidoient à cette distribution.

La sixieme, tendue de brocatelle, s'appelloit Bréard ; Dumirail, danseur, en étoit le maître, & y débitoit les ratafia, rossoli, & liqueurs chaudes de toutes les sortes.

La derniere, qui se trouvoit dans l'encoignure, près du théatre italien, étoit enfin intitulée, M. Blanche, & occupée par la Souris l'aînée, & la du Coudray, marchandes de dragées & de toutes sortes de confitures fines.

Un grand amphithéatre paré de tapis & bien illuminé, regnoit tout le long & au-dessus du théatre de la comédie italienne : il étoit rempli par une quantité prodigieuse d'excellens symphonistes.

Les dessus de la loge intitulée Messager, située en face, étoit aussi couronné par un semblable amphithéatre, où étoient placés les musiciens & musiciennes, danseurs & danseuses qui n'avoient point d'emploi dans les boutiques de la foire, déguisés en différens caracteres sérieux, galans & comiques.

La galerie ornée d'orangers & de girandoles, qui avoit bien plus de profondeur aux faces qu'aux ailes, servoit comme de base & d'accompagnement à ces deux amphithéatres, & rendoit le point de vûe d'une beauté & d'une singularité inexprimables. Tel est toûjours l'effet des beaux contrastes.

Le Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s'arrêta d'abord au théatre de la comédie italienne, où Arlequin, Pantalon & Silvia ne firent pas des efforts inutiles pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là aux marionnettes, & ensuite aux jeux ; s'y amusa quelque tems : & joüa au hoca & au biribi. Après le jeu, le Roi alla au théatre du docteur Barry : Scapin commença sa harangue, que Trivelin expliquoit en françois, pendant que Flaminia présentoit au Roi, dans un mouchoir de soie, les raretés que lui offroit l'opérateur. Des tablettes garnies d'or, & d'un travail fini, furent le premier bijou qui lui fut offert ; Scapin l'accompagna de ce discours qu'il adressa au Roi :

Voilà des tablettes qui renferment le thrésor de tous les thrésors, Sa Majesté y trouvera l'abregé de tous mes secrets ; le papier qui les contient est incorruptible, & les secrets impayables.

Flaminia eut encore l'honneur de présenter deux autres bijoux au Roi ; un cachet précieux & d'une gravûre parfaite, composé d'une grosse perle ; & d'une antique, avec un petit vase d'une pierre rare, & garni d'or. Scapin fit à chaque présent un commentaire, à la maniere des vendeurs d'orviétan. On distribua ainsi aux princes & aux seigneurs de la cour, des bijoux d'or de toute espece.

Sa Majesté continua sa promenade & fit plusieurs tours dans la foire, pour joüir des divers tours & propos dont les marchands & les marchandes se servent à Paris pour attirer les chalans dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet, & leurs empressemens à étaler & à faire accepter leur marchandises, imitoient parfaitement quoiqu'en beau, le tumulte, le bruit & l'espece de confusion qu'on trouve dans les foires S. Germain & S. Laurent, dans les tems où elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été longtems diverti par la variété des spectacles & des amusemens de la foire, entra dans la boutique de Lesgu & la Frenaye, & tira lui-même une loterie qui, en terminant la fête, surpassa toute la magnificence qu'elle avoit étalée jusqu'à ce moment ; en faisant voir l'élégance, la quantité & la richesse des bijoux qui furent donnés par le sort à toute la cour, & à toute la suite qu'elle avoit attirée à Villers-Coterets.

Cette loterie, la plus fidele qu'on ait jamais tirée, occupa Sa Majesté jusqu'à près de neuf heures du soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située au milieu de la foire, & se plaça dans un fauteuil vers le théatre de la comédie italienne : les princes se rangerent auprès de Sa Majesté. Les banquettes couvertes de velours cramoisi, qui entouroient cette salle, servoient de barriere aux spectateurs. La symphonie placée sur l'amphithéatre, commença le divertissement par une ritournelle. La Julie représentant Terpsicore, accompagnée de Pecourt, compositeur de toutes les danses gracieuses & variées exécutées à Villers-Coterets ; & de Mouret, qui avoit composé tous les airs de ces danses, chanta un récit au Roi.

Après ce récit la suite de Terpsicore se montra digne d'être amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent à la tête de la danse ; un tambourin provençal se rangea au fond de la salle, & on commença un petit ballet, sans chant, très diversifié par les pas & les caracteres, qui fut exécuté par les meilleurs danseurs de l'opéra.

Dès que la danse cessa, on entendit tout-d'un-coup un magnifique choeur en acclamations, mêlé de fanfares, & chanté par tous les acteurs & actrices masqués, placés sur les deux amphithéatres & les deux galeries qui les accompagnoient ; ce qui causa une surprise très-agréable.

Après ce choeur le Roi alla souper, & les masques s'emparerent de la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvoient alors dans la foire, tout ce qui étoit resté dans les boutiques des marchands, qui étoient si abondamment fournies, qu'après que toute la cour fut satisfaite, il s'en trouva encore une assez grande quantité pour contenter tous les curieux.

Ce seroit ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée dans le même tems ; & de celle donnée à Saint-Cloud par S. A. S. Mgr. le duc d'Orléans pour la Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera un précis assez détaillé dans quelques autres articles.

On terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop long, par le récit d'une fête d'un genre aussi neuf qu'élégant, dont on n'a parlé dans aucun des mémoires du tems, qui mérite à tous égards d'être mieux connue, & qui rappellera à la cour de France le souvenir d'une aimable princesse, qui en étoit adorée.

On doit pressentir à ce peu de mots, que l'on veut parler de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette marque publique de l'attachement tendre & respectueux qu'elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher. Cette princesse, doüée des dons les plus rares, & les mieux faits pour être bientôt démêlés, malgré la douceur modeste qui, en s'efforçant de les cacher, sembloit encore les embellir, fit préparer en secret le spectacle élégant dont elle vouloit surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle l'engagea à descendre aux flambeaux jusqu'au labyrinthe.

L'entrée de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée par une illumination ingénieuse, & dont les lumieres qui la formoient, étoient cachées par des transparens de feuillées.

Esope & l'Amour sont les deux statues qu'on voit aux deux côtés de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse se fit entendre ; & l'on vit tout-à-coup la fée des plaisirs champêtres, qui en étoit suivie. Elle adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant de goûter quelques momens les innocens plaisirs qu'elle alloit lui offrir. Les vers qu'elle chantoit, étoient des loüanges délicates, mais sans flaterie ; ils avoient été dictés par le coeur de mademoiselle de Clermont : cette princesse ne flata jamais, & mérita de n'être jamais flatée.

La fée, après son récit, toucha de sa baguette les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d'une symphonie mélodieuse elles s'animerent, & joüerent avec la fée une jolie scene, dont les traits legers amuserent la Reine & la cour.

Après ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans les allées du labyrinthe ; l'illumination en étoit si brillante, qu'on y lisoit les fables qui y sont répandues en inscriptions, aussi aisément qu'en plein jour.

Au premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui formerent un joli ballet mêlé de chants & de danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant, & l'engagea à venir à la fontaine qu'on trouve avec le grand berceau des oiseaux.

Là plusieurs bergers & bergeres divisés par quadrilles, coururent en dansant au-devant de S. M. & ils représenterent un ballet très-court & fort ingénieux, dont le charme des plaisirs champêtres étoit le sujet.

On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets joüerent pendant tout le tems que la Reine voulut bien y rester ; & la réflexion des coups de lumiere qui partoient du nombre immense des lumieres qu'on y avoit répandues, augmentoit & varioit à tous les instans les charmes de cet agréable séjour.

La Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ; il étoit embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles, qui entrelacées avec une quantité immense de lustres de crystal & de girandoles dorées, formoient des especes de berceaux aussi riches que galans.

Douze jeunes bouquetieres galamment ajustées, parurent en dansant. Une encore mieux parée, & qui se distinguoit de sa troupe par les graces de ses mouvemens & l'élégance de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles à la Reine : les autres en offrirent à toutes les dames de la cour. Il y avoit autour du berceau un grand nombre de tables de gazon, sur lesquelles on voyoit des corbeilles dorées, remplies de toutes sortes de fleurs, & dont tout le monde avoit la liberté de se parer.

On passa d'allée en allée jusqu'au carrefour ; on y trouva sur un banc élevé en forme de théatre, deux femmes qui paroissoient en grande querelle. Une symphonie assez longue pour donner à la cour le tems de s'approcher, finit lorsqu'on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc où elles étoient placées : on connut bientôt à leurs discours que l'une étoit la flaterie, & l'autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions qui avoient pour objet le bien qu'on avoit à dire d'une si brillante cour, fit convenir la flaterie qu'on n'avoit que faire d'elle pour célébrer les vertus d'une Reine adorée, qui comptoit tous ses momens par quelque nouvelle marque de bonté.

Cette scene fut interrompue par une espece d'allemand, qui perça la foule pour dire, à demi-ivre, que c'étoit bien la peine de tant dépenser en lumieres, pour ne faire voir que de l'eau. Un gascon qui passa d'un autre côté, dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l'air à la cour des rois de France ? A ces deux originaux, en succéderent quelques autres. Ils s'unirent tous à la fin pour chanter leurs plaintes, & ce choeur comique, finit d'une maniere plaisante cette partie de la fête.

La reine & la cour arriverent dans la grande allée qui sépare le labyrinthe de l'île d'amour : on y avoit formé une salle de spectacle de toute la largeur de l'allée, & d'une longueur proportionnée. La salle & le théatre étoient ornés avec autant de magnificence que de goût. Les comédiens françois y représenterent une piece en cinq actes : elle avoit été composée par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, & qui a laissé après lui la réputation la plus desirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé la vertu.

Cette piece, dont je n'ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée de cinq intermedes de danse, qui furent exécutés par les meilleurs danseurs de l'opéra.

La reine, après la comédie, rentra dans le labyrinthe, & le parcourut par des routes nouvelles, qu'elle trouva coupées par de jolis amphithéatres, occupés par des orchestres brillans.

Elle se rendit ensuite à l'orangerie, qu'on avoit ornée pour un bal paré : il commença & dura jusqu'à l'heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont, avec toute l'élégance qui lui étoit naturelle. Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ; elles sembloient se multiplier, comme la multitude des plaisirs dont on avoit joüi dans la fête.

Croiroit-on que tous ces apprêts, l'idée, la conduite, l'enchaînement des diverses parties de cette fête, furent l'ouvrage de trois jours ? C'est un fait certain qui, vérifié dans le tems, fit donner à tous ces amusemens le nom d'impromptu du labyrinthe. La Reine ignoroit tout ce qui devoit l'amuser pendant cette agréable soirée ; la cour n'étoit pas mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont, qui avoit été annoncé sans mystere, tout le reste demeura caché, & fut successivement embelli du charme de la surprise.

Les courtisans loüerent beaucoup l'invention, la conduite, l'exécution de cette fête ingénieuse, & toute la cour s'intrigua pour en découvrir l'inventeur. Après bien des propos, des contradictions, des conjectures, les soupçons & les voeux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.

Le caractere des hommes se peint presque toûjours dans les traits saillans de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé par tant de monde ; la prévoyance, toûjours si rare dans la distribution des différens emplois ; le choix & l'instruction des Artistes ; l'enchaînement ingénieux des plaisirs, déceloient, malgré sa modestie, l'esprit sage & délicat, qui avoit fait tous ces beaux arrangemens.

Ces jeux legers, qu'une imagination aussi réglée que riante répandoit sur les pas de la Reine la plus respectable, n'étoient que les prémices de ce que M. le duc de Saint-Aignan devoit faire un jour pour servir l'état & pour plaire à son Roi.

M. de Blamont, chevalier de l'ordre de S. Michel, & surintendant de la musique de S. M. composa toutes les symphonies & les chants de cette fête. Il étoit déjà depuis long-tems en possession de la bienveillance de la cour, que sa conduite & ses talens lui ont toûjours conservée. (B)

Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

Début de la journée : Villers-Cotterêts (I)