Salle
de la foire.
La
foire que M. le duc d'Orléans avoit fait préparer
avec magnificence, étoit établie dans la cour intérieure
du château ; elle est quarrée & bâtie sur
un dessein semblable à l'avant-cour.
Le
lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver
ici quelque détail de cette foire galante ; l'idée
en est riante & magnifique, & peut lui peindre quelques-uns
de ces traits saillans du génie aussi vaste qu'aimable
du grand prince qui l'avoit imaginée.
On
avoit laissé de grands espaces qui avoient la forme de
rues, tout-au-tour de la cour, entre les boutiques & le milieu
du terrein, qu'on avoit parqueté & élevé
seulement d'une marche : ce milieu étoit destiné
à une salle de bal ; & on n'avoit rien oublié
de ce qui pouvoit la rendre aussi magnifique que commode.
La
salle n'étoit séparée de ces especes de rues
que par une banquette continue, couverte de velours cramoisi.
Toute la cour qui renfermoit cette foire étoit couverte
de fortes bannes soûtenues par des travées solides,
qui servoient encore à suspendre vingt-quatre lustres.
Toutes les différentes parties de cette foire étoient
ornées d'une très-grande quantité de lustres
; & ces lumieres réfléchies sur des grands miroirs
& trumeaux de glaces, étoient multipliées à
l'infini.
On
entroit dans cette foire par quatre passages qui répondoient
aux escaliers du château ; ce lieu n'étant point
quarré, & se trouvant plus long que large, les deux
faces plus étroites étoient remplies par deux édifices
élégans, & les deux autres faces étoient
subdivisées en boutiques, séparées au milieu
par deux petits théatres.
En
entrant de l'avant-cour dans la foire, on rencontroit à
droite le théatre de la comédie italienne, qui remplissoit
seul une des faces moins larges de la cour. Il étoit ouvert
par quatre pilastres peints en marbre blanc, cantonnés
de demi-colonnes d'arabesque & de cariatides de bronze doré,
qui portoient une corniche dorée, d'où pendoit une
pente de velours à crépines d'or, chargée
de festons de fleurs : au-dessus regnoit un pié-d'estal
en balustrade de marbre blanc à moulure d'or, orné
de compartimens, de rinceaux de feuilles entrelacées &
liées avec des girandoles chargées de bougies.
On
voyoit au haut de ce théatre les armes du Roi grouppées
avec des guirlandes de fleurs ; le chiffre de S. M. figuré
par deux L L entrelacées, paroissoit dans deux cartouches
qui couronnoient les deux ouvertures faites aux deux côtés
du théatre pour le passage des acteurs ; ces deux passages
étoient doublés d'une double portiere de damas cramoisi
à crépines d'or, festonnant sur le haut. Ce théatre
élevé seulement de trois piés du rez-de-chaussée
représentoit un temple de Bacchus dans un jardin à
treillage d'or, couvert de vignes & de raisins. On voyoit
la statue du dieu en marbre blanc, qu'environnoient les satyres
en lui présentant leurs hommages.
Le
théatre italien étoit occupé par deux acteurs
& une actrice, Arlequin, Pantalon, & Silvia, qui, par
des saillies italiennes & des scènes réjoüissantes,
commençoient les plaisirs qu'on avoit répandus à
chaque pas dans ce séjour.
Toutes
les boutiques de cette foire brillante étoient séparées
par deux pilastres de marbre blanc, de l'entre-deux desquels sortoient
trois bras en hauteur, à plusieurs branches, garnis de
bougies jusqu'au bas de la balustrade. Ces pilastres étoient
cantonnés de colonnes arabesques, portant des vases de
bronze doré, d'où paroissoient sortir des orangers
chargés d'une quantité prodigieuse de fruits &
de fleurs ; ils étoient alignés sur les galeries
qui regnoient sur tout l'édifice autour de la foire.
Immédiatement
au-dessus des boutiques, qui avoient environ huit piés
de profondeur & quinze à seize de hauteur, regnoit
tout-au-tour la balustrade dont il a été parlé
: à chaque côté des orangers, qui étoient
deux à deux, il y avoit une girandole garnie de bougies
en pyramide ; & entre chaque grouppe d'orangers & de girandoles,
il y avoit un ou plusieurs acteurs ou actrices de l'opéra,
appuyés sur la balustrade, masqués en domino ou
autre habit de bal, dont les couleurs étoient très-éclatantes
; ce qui formoit le tableau en même tems le plus surprenant
& le plus agréable.
Chaque
boutique étoit éclairée par quantité
de bras à plusieurs branches & par deux lustres à
huit bougies, qui se répétoient dans les glaces.
A celles qui étoient destinées pour la bouche, il
y avoit de plus des buffets rangés avec art & garnis
de girandoles. Toutes les boutiques avoient pour couronnement
un cartouche qui contenoit en lettres d'or le nom du marchand
le plus connu de la cour, par rapport à la marchandise
de la boutique. Les supports des cartouches étoient ornés
des attributs qui pouvoient caractériser chaque négoce
dans un goût noble. Les musiciens & musiciennes, danseurs
& danseuses de l'opéra, vêtus d'habits galans
faits d'étoffes brillantes, & cependant convenables
aux marchands qu'ils représentoient, y distribuoient généreusement
& à tous venans leur marchandise. La premiere boutique
étoit celle du pâtissier, sous le nom de Godart ;
elle étoit meublée d'un cuir argenté : le
fond séparé au milieu par un trumeau de glace, laissoit
voir dans ses côtés le lieu destiné au travail
du métier, avec tous les ustensiles nécessaires
; la Thierry, danseuse, représentoit la pâtissiere
; elle avoit pour garçons Malterre & Javilliers, qui
habillés de toile d'argent, & portant des clayons chargés
de ratons tout chauds, couroient vîte les débiter
dans la foire. Cette boutique étoit garnie de toute sorte
de pâtisserie fine.
La
boutique suivante avoit pour inscription Perdrigeon ; elle étoit
meublée d'une tenture de brocatelle de Venise, & de
glaces, & garnie de dragonnes brodées en or & en
argent, noeuds d'épée & de cannes, ceinturons
& bonnets brodés richement ; les rubans de toutes sortes
de couleurs & d'or & d'argent, les plus à la mode
& du meilleur goût, y pendoient en festons de tous côtés
: le maître & la maîtresse de la boutique étoient
représentés par Dumoulin danseur, & par la Rey,
danseuse.
La
troisieme boutique étoit un caffé ; on lisoit dans
le cartouche le nom de Benachi. Elle étoit tendue d'un
beau cuir doré avec des buffets chargés de tasses,
soucoupes, & cabarets du Japon & des Indes, & de girandoles
de lumieres qui se répétoient dans les trumeaux.
Corbie & Julie, chanteur & chanteuse, déguisés
en turc & turquesse, ainsi que Deshayes, chanteur, qui leur
servoit de garçon, distribuoient le caffé, le thé,
& le chocolat.
La
quatrieme boutique élevée en théatre d'opérateur,
étoit inscrite, le docteur Barry. La forme de ce théatre
représentoit une place publique & les rues adjacentes.
Scapin en opérateur, Trivelin son garçon, Paqueti
en aveugle, & Flaminia femme de l'opérateur, remplissoient
ce théatre, & contrefaisoient parfaitement le manége
& l'éloquence des arracheurs de dents.
La
cinquieme boutique représentoit un ridotto de Venise. Le
meuble étoit de velours ; les trumeaux & les bougies
y étoient répandus avec profusion. On voyoit plusieurs
tables de bassette & de pharaon, tenues par des banquiers
bien en fonds, & tous masqués à la vénitienne
: c'étoient des courtisans, qui se démasquerent
d'abord que le Roi parut.
La
sixieme, intitulée Ducreux & Baraillon, avoit pour
marchande la Duval, danseuse ; & pour marchandise, des masques,
des habits de bal, & des dominos de toutes les couleurs &
de toutes les tailles.
Dans
la septieme, où étoient Saint-Martin & la Souris
la cadette, habillés à l'allemande, on montroit
un tableau changeant, d'une invention & d'une variété
très-ingénieuse ; & un veau vivant ayant huit
jambes. Cette loge étoit meublée de damas, &
s'appelloit cadet.
On
se trouvoit, en tournant, en face de la cour opposée à
celle que remplissoit le théatre de la comédie italienne.
Elle étoit décorée de la même ordonnance
dans le dehors ; le dedans figuroit une superbe boutique de fayencier,
meublée de damas cramoisi, & remplie de tablettes chargées
de crystaux rares & singuliers, & de porcelaines fines,
des plus belles formes, de la Chine, du Japon & des Indes,
qui faisoient partie des lots que le Roi devoit tirer. Javilliers
pere, & la Mangot, en hollandois & hollandoise, occupoient
cette riche boutique, qui avoit pour inscription, Messager.
La
premiere boutique après le magasin de porcelaine, en tournant
toûjours à droite, étoit la loge des joüeurs
de gobelets, habitée par eux-mêmes, & meublée
de drap d'or, avec des glaces. Dans le cartouche étoient
les noms de Baptiste & de Dimanche, fameux alors par leurs
tours d'adresse.
La
seconde, intitulée Lesgu & la Frenaye, & dont les
officiers de M. le duc d'Orléans faisoient les honneurs,
étoit la bijouterie ; elle étoit meublée
de moire d'or, avec une pente autour, relevée en broderie
d'or & ornée de glaces. Cette boutique étoit
remplie de tout ce que l'on peut imaginer en bijoux précieux,
exposés sur des tablettes ; d'autres étoient renfermés
dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de
curiosités indiennes.
La
troisieme, portant le nom de Fredoc, étoit l'académie
des jeux de dés, du biribi & du hoca, meublée
d'un gros damas galonné d'or.
La
quatrieme, faisant face au théatre de l'opérateur,
étoit un jeu de marionnettes qui avoit pour titre, Brioché.
La
cinquieme, nommée Procope, étoit meublée
d'un cuir argenté, & ornée de buffets, de trumeaux,
de glaces & de girandoles ; elle étoit destinée
par la distribution de toutes les liqueurs fraîches, &
des glaces. Buzeau en arménien, & la Perignon en arménienne,
présidoient à cette distribution.
La
sixieme, tendue de brocatelle, s'appelloit Bréard ; Dumirail,
danseur, en étoit le maître, & y débitoit
les ratafia, rossoli, & liqueurs chaudes de toutes les sortes.
La
derniere, qui se trouvoit dans l'encoignure, près du théatre
italien, étoit enfin intitulée, M. Blanche, &
occupée par la Souris l'aînée, & la du
Coudray, marchandes de dragées & de toutes sortes de
confitures fines.
Un
grand amphithéatre paré de tapis & bien illuminé,
regnoit tout le long & au-dessus du théatre de la comédie
italienne : il étoit rempli par une quantité prodigieuse
d'excellens symphonistes.
Les
dessus de la loge intitulée Messager, située en
face, étoit aussi couronné par un semblable amphithéatre,
où étoient placés les musiciens & musiciennes,
danseurs & danseuses qui n'avoient point d'emploi dans les
boutiques de la foire, déguisés en différens
caracteres sérieux, galans & comiques.
La
galerie ornée d'orangers & de girandoles, qui avoit
bien plus de profondeur aux faces qu'aux ailes, servoit comme
de base & d'accompagnement à ces deux amphithéatres,
& rendoit le point de vûe d'une beauté &
d'une singularité inexprimables. Tel est toûjours
l'effet des beaux contrastes.
Le
Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s'arrêta
d'abord au théatre de la comédie italienne, où
Arlequin, Pantalon & Silvia ne firent pas des efforts inutiles
pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là
aux marionnettes, & ensuite aux jeux ; s'y amusa quelque tems
: & joüa au hoca & au biribi. Après le jeu,
le Roi alla au théatre du docteur Barry : Scapin commença
sa harangue, que Trivelin expliquoit en françois, pendant
que Flaminia présentoit au Roi, dans un mouchoir de soie,
les raretés que lui offroit l'opérateur. Des tablettes
garnies d'or, & d'un travail fini, furent le premier bijou
qui lui fut offert ; Scapin l'accompagna de ce discours qu'il
adressa au Roi :
Voilà
des tablettes qui renferment le thrésor de tous les thrésors,
Sa Majesté y trouvera l'abregé de tous mes secrets
; le papier qui les contient est incorruptible, & les secrets
impayables.
Flaminia
eut encore l'honneur de présenter deux autres bijoux au
Roi ; un cachet précieux & d'une gravûre parfaite,
composé d'une grosse perle ; & d'une antique, avec
un petit vase d'une pierre rare, & garni d'or. Scapin fit
à chaque présent un commentaire, à la maniere
des vendeurs d'orviétan. On distribua ainsi aux princes
& aux seigneurs de la cour, des bijoux d'or de toute espece.
Sa
Majesté continua sa promenade & fit plusieurs tours
dans la foire, pour joüir des divers tours & propos dont
les marchands & les marchandes se servent à Paris pour
attirer les chalans dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet,
& leurs empressemens à étaler & à
faire accepter leur marchandises, imitoient parfaitement quoiqu'en
beau, le tumulte, le bruit & l'espece de confusion qu'on trouve
dans les foires S. Germain & S. Laurent, dans les tems où
elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été
longtems diverti par la variété des spectacles &
des amusemens de la foire, entra dans la boutique de Lesgu &
la Frenaye, & tira lui-même une loterie qui, en terminant
la fête, surpassa toute la magnificence qu'elle avoit étalée
jusqu'à ce moment ; en faisant voir l'élégance,
la quantité & la richesse des bijoux qui furent donnés
par le sort à toute la cour, & à toute la suite
qu'elle avoit attirée à Villers-Coterets.
Cette
loterie, la plus fidele qu'on ait jamais tirée, occupa
Sa Majesté jusqu'à près de neuf heures du
soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située
au milieu de la foire, & se plaça dans un fauteuil
vers le théatre de la comédie italienne : les princes
se rangerent auprès de Sa Majesté. Les banquettes
couvertes de velours cramoisi, qui entouroient cette salle, servoient
de barriere aux spectateurs. La symphonie placée sur l'amphithéatre,
commença le divertissement par une ritournelle. La Julie
représentant Terpsicore, accompagnée de Pecourt,
compositeur de toutes les danses gracieuses & variées
exécutées à Villers-Coterets ; & de Mouret,
qui avoit composé tous les airs de ces danses, chanta un
récit au Roi.
Après
ce récit la suite de Terpsicore se montra digne d'être
amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent
à la tête de la danse ; un tambourin provençal
se rangea au fond de la salle, & on commença un petit
ballet, sans chant, très diversifié par les pas
& les caracteres, qui fut exécuté par les meilleurs
danseurs de l'opéra.
Dès
que la danse cessa, on entendit tout-d'un-coup un magnifique choeur
en acclamations, mêlé de fanfares, & chanté
par tous les acteurs & actrices masqués, placés
sur les deux amphithéatres & les deux galeries qui
les accompagnoient ; ce qui causa une surprise très-agréable.
Après
ce choeur le Roi alla souper, & les masques s'emparerent de
la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvoient
alors dans la foire, tout ce qui étoit resté dans
les boutiques des marchands, qui étoient si abondamment
fournies, qu'après que toute la cour fut satisfaite, il
s'en trouva encore une assez grande quantité pour contenter
tous les curieux.
Ce
seroit ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée
dans le même tems ; & de celle donnée à
Saint-Cloud par S. A. S. Mgr. le duc d'Orléans pour la
Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera
un précis assez détaillé dans quelques autres
articles.
On
terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop
long, par le récit d'une fête d'un genre aussi neuf
qu'élégant, dont on n'a parlé dans aucun
des mémoires du tems, qui mérite à tous égards
d'être mieux connue, & qui rappellera à la cour
de France le souvenir d'une aimable princesse, qui en étoit
adorée.
On
doit pressentir à ce peu de mots, que l'on veut parler
de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison
de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette
marque publique de l'attachement tendre & respectueux qu'elle
inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher.
Cette princesse, doüée des dons les plus rares, &
les mieux faits pour être bientôt démêlés,
malgré la douceur modeste qui, en s'efforçant de
les cacher, sembloit encore les embellir, fit préparer
en secret le spectacle élégant dont elle vouloit
surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant
avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle
l'engagea à descendre aux flambeaux jusqu'au labyrinthe.
L'entrée
de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée
par une illumination ingénieuse, & dont les lumieres
qui la formoient, étoient cachées par des transparens
de feuillées.
Esope
& l'Amour sont les deux statues qu'on voit aux deux côtés
de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse
se fit entendre ; & l'on vit tout-à-coup la fée
des plaisirs champêtres, qui en étoit suivie. Elle
adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant
de goûter quelques momens les innocens plaisirs qu'elle
alloit lui offrir. Les vers qu'elle chantoit, étoient des
loüanges délicates, mais sans flaterie ; ils avoient
été dictés par le coeur de mademoiselle de
Clermont : cette princesse ne flata jamais, & mérita
de n'être jamais flatée.
La
fée, après son récit, toucha de sa baguette
les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d'une
symphonie mélodieuse elles s'animerent, & joüerent
avec la fée une jolie scene, dont les traits legers amuserent
la Reine & la cour.
Après
ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans
les allées du labyrinthe ; l'illumination en étoit
si brillante, qu'on y lisoit les fables qui y sont répandues
en inscriptions, aussi aisément qu'en plein jour.
Au
premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui
formerent un joli ballet mêlé de chants & de
danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant,
& l'engagea à venir à la fontaine qu'on trouve
avec le grand berceau des oiseaux.
Là
plusieurs bergers & bergeres divisés par quadrilles,
coururent en dansant au-devant de S. M. & ils représenterent
un ballet très-court & fort ingénieux, dont
le charme des plaisirs champêtres étoit le sujet.
On
peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets
joüerent pendant tout le tems que la Reine voulut bien y
rester ; & la réflexion des coups de lumiere qui partoient
du nombre immense des lumieres qu'on y avoit répandues,
augmentoit & varioit à tous les instans les charmes
de cet agréable séjour.
La
Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ;
il étoit embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles,
qui entrelacées avec une quantité immense de lustres
de crystal & de girandoles dorées, formoient des especes
de berceaux aussi riches que galans.
Douze
jeunes bouquetieres galamment ajustées, parurent en dansant.
Une encore mieux parée, & qui se distinguoit de sa
troupe par les graces de ses mouvemens & l'élégance
de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles
à la Reine : les autres en offrirent à toutes les
dames de la cour. Il y avoit autour du berceau un grand nombre
de tables de gazon, sur lesquelles on voyoit des corbeilles dorées,
remplies de toutes sortes de fleurs, & dont tout le monde
avoit la liberté de se parer.
On
passa d'allée en allée jusqu'au carrefour ; on y
trouva sur un banc élevé en forme de théatre,
deux femmes qui paroissoient en grande querelle. Une symphonie
assez longue pour donner à la cour le tems de s'approcher,
finit lorsqu'on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc
où elles étoient placées : on connut bientôt
à leurs discours que l'une étoit la flaterie, &
l'autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions
qui avoient pour objet le bien qu'on avoit à dire d'une
si brillante cour, fit convenir la flaterie qu'on n'avoit que
faire d'elle pour célébrer les vertus d'une Reine
adorée, qui comptoit tous ses momens par quelque nouvelle
marque de bonté.
Cette
scene fut interrompue par une espece d'allemand, qui perça
la foule pour dire, à demi-ivre, que c'étoit bien
la peine de tant dépenser en lumieres, pour ne faire voir
que de l'eau. Un gascon qui passa d'un autre côté,
dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l'air
à la cour des rois de France ? A ces deux originaux, en
succéderent quelques autres. Ils s'unirent tous à
la fin pour chanter leurs plaintes, & ce choeur comique, finit
d'une maniere plaisante cette partie de la fête.
La
reine & la cour arriverent dans la grande allée qui
sépare le labyrinthe de l'île d'amour : on y avoit
formé une salle de spectacle de toute la largeur de l'allée,
& d'une longueur proportionnée. La salle & le théatre
étoient ornés avec autant de magnificence que de
goût. Les comédiens françois y représenterent
une piece en cinq actes : elle avoit été composée
par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, & qui
a laissé après lui la réputation la plus
desirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé
la vertu.
Cette
piece, dont je n'ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée
de cinq intermedes de danse, qui furent exécutés
par les meilleurs danseurs de l'opéra.
La
reine, après la comédie, rentra dans le labyrinthe,
& le parcourut par des routes nouvelles, qu'elle trouva coupées
par de jolis amphithéatres, occupés par des orchestres
brillans.
Elle
se rendit ensuite à l'orangerie, qu'on avoit ornée
pour un bal paré : il commença & dura jusqu'à
l'heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont,
avec toute l'élégance qui lui étoit naturelle.
Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches
rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ;
elles sembloient se multiplier, comme la multitude des plaisirs
dont on avoit joüi dans la fête.
Croiroit-on
que tous ces apprêts, l'idée, la conduite, l'enchaînement
des diverses parties de cette fête, furent l'ouvrage de
trois jours ? C'est un fait certain qui, vérifié
dans le tems, fit donner à tous ces amusemens le nom d'impromptu
du labyrinthe. La Reine ignoroit tout ce qui devoit l'amuser pendant
cette agréable soirée ; la cour n'étoit pas
mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont,
qui avoit été annoncé sans mystere, tout
le reste demeura caché, & fut successivement embelli
du charme de la surprise.
Les
courtisans loüerent beaucoup l'invention, la conduite, l'exécution
de cette fête ingénieuse, & toute la cour s'intrigua
pour en découvrir l'inventeur. Après bien des propos,
des contradictions, des conjectures, les soupçons &
les voeux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.
Le
caractere des hommes se peint presque toûjours dans les
traits saillans de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé
par tant de monde ; la prévoyance, toûjours si rare
dans la distribution des différens emplois ; le choix &
l'instruction des Artistes ; l'enchaînement ingénieux
des plaisirs, déceloient, malgré sa modestie, l'esprit
sage & délicat, qui avoit fait tous ces beaux arrangemens.
Ces
jeux legers, qu'une imagination aussi réglée que
riante répandoit sur les pas de la Reine la plus respectable,
n'étoient que les prémices de ce que M. le duc de
Saint-Aignan devoit faire un jour pour servir l'état &
pour plaire à son Roi.
M.
de Blamont,
chevalier de l'ordre de S. Michel, & surintendant de la musique
de S. M. composa toutes les symphonies & les chants de cette
fête. Il étoit déjà depuis long-tems
en possession de la bienveillance de la cour, que sa conduite
& ses talens lui ont toûjours conservée. (B)
Encyclopédie
de Diderot et d'Alembert.
Début
de la journée : Villers-Cotterêts (I)
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