Encyclopédie
de Diderot & d'Alembert - Fêtes :
Les
tournois & & les carrousels, ces fêtes guerrieres
& magnifiques, avoient produit à la cour de France
en l'année 1559 un évenement trop tragique pour
qu'on pût songer à les y faire servir souvent dans
les réjoüissances solemnelles. Ainsi les bals, les
mascarades, & sur-tout les ballets qui n'entraînoient
après eux aucun danger, & que la reine Catherine de
Médicis avoit connus à Florence, furent pendant
plus de 50 ans la ressource de la galanterie & de la magnificence
françoise. [...]
Pour
remplir l'objet que je me propose ici, je crois devoir choisir
parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées
durant ce regne*, celles qu'on donna en 1581 pour le mariage du
duc de Joyeuse & de Marguerite de Lorraine, belle-soeur du
roi. Je ne fais au reste que copier d'un historien contemporain
les détails que je vais décrire.
"
Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse & Marguerite
de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudemont, soeur de la reine,
furent fiancés en la chambre de la reine, & le dimanche
suivant furent mariés à trois heures après
midi en la paroisse de S. Germain de l'Auxerrois.
Le
roi mena la mariée au moûtier, suivie de la reine,
princesses, & dames tant richement vêtues, qu'il n'est
mémoire en France d'avoir vû chose si somptueuse.
Les habillemens du roi & du marié étoient semblables,
tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu'il n'étoit
possible de les estimer ; car tel accoûtrement y avoit qui
coûtoit dix mille écus de façon : & toutefois,
aux dix-sept festins qui de rang & de jour à autre,
par ordonnance du roi, furent faits depuis les nôces, par
les princes, seigneurs, parens de la mariée, & autres
des plus grands de la cour, tous les seigneurs & dames changerent
d'accoûtremens, dont la plûpart étoient de
toile & drap d'or & d'argent, enrichis de broderies &
de pierreries en grand nombre & de grand prix.
La
dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades,
présens, devises, musique, livrées, que le bruit
étoit que le roi n'en seroit pas quitte pour cent mille
écus.
Le
mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de nôces
en l'hôtel de son abbaye S. Germain des Prés, &
fit faire à grands frais sur la riviere de Seine, un grand
& superbe appareil d'un grand bac accommodé en forme
de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princesses, &
les mariés devoient passer du louvre au pré-aux-clercs,
en pompe moult solemnelle ; car ce beau char triomphant devoit
être tiré par-dessus l'eau par d'autres bateaux déguisés
en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, & autres monstres
marins, en nombre de vingt-quatre, en aucun desquels étoient
portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes,
clairons, cornets, violons, haut-bois, & plusieurs musiciens
d'excellence, même quelques tireurs de feux artificiels,
qui pendant le trajet devoient donner maints passe-tems, tant
au roi qu'à 50000 personnes qui étoient sur le rivage
; mais le mystere ne fut pas bien joüé, & ne put-on
faire marcher les animaux, ainsi qu'on l'avoit projetté
; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures
du soir jusqu'à sept, aux Tuileries, le mouvement &
acheminement de ces animaux, sans en appercevoir aucun effet,
dépité, dit, qu'il voyoit bien que c'étoient
des bêtes qui commandoient à d'autres bêtes
; & étant monté en coche, s'en alla avec la
reine & toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique
de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter
un jardin artificiel garni de fleurs & de fruits, comme si
c'eût été en Mai ou en Juillet & Août.
Le
dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre ; &
après le festin, le ballet de Circé & de ses
nymphes".
Le
triomphe de Jupiter & de Minerve étoit le sujet de
ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique
de la reine ; il fut représenté dans la grande salle
de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, & les
plus grands seigneurs de la cour.
Balthazar
de Boisjoyeux, qui étoit dans ce tems un des meilleurs
joüeurs de violon de l'Europe, fut l'inventeur du sujet,
& en disposa toute l'ordonnance. L'ouvrage est imprimé,
& il est plein d'inventions d'esprit ; il en communiqua le
plan à la reine, qui l'approuva : enfin tout ce qui peut
démontrer la propriété d'une composition
se trouve pour lui dans l'histoire. D'Aubigné cependant,
dans sa vie qui est à la tête du baron de Foeneste,
se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de
loin pour les vols littéraires.
"
Le lundi 16, en la belle & grande lice dressée &
bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze
blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux
flambeaux.
Le
mardi 17, autre combat à la pique, à l'estoc, au
tronçon de la lance, à pié & à
cheval ; & le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel
les chevaux d'Espagne, coursiers, & autres en combattant s'avançoient,
se retournoient, contournoient au son & à la cadence
des trompettes & clairons, y ayant été dressés
cinq mois auparavant.
Tout
cela fut beau & plaisant : mais la grande excellence qui se
vit les jours de mardi & jeudi, fut la musique de voix &
d'instrumens la plus harmonieuse & la plus déliée
qu'on ait jamais ouie (on la devoit au goût & aux soins
de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillerent
avec effroyable épouvantement & contentement de toutes
personnes, sans qu'aucun en fût offensé ".
La
partie éclatante de cette fête, qui a été
saisie par l'historien que j'ai copié, n'est pas celle
qui méritoit le plus d'éloges : il y en eut une
qui lui fut très-supérieure, & qui ne l'a pas
frappé.
La
reine & les princesses qui représentoient dans le ballet
les nayades & les néréïdes, terminerent
ce spectacle par des présens ingénieux qu'elles
offrirent aux princes & seigneurs, qui, sous la figure de
tritons, avoient dansé avec elles. C'étoient des
médailles d'or gravées avec assez de finesse pour
le tems : peut-être ne sera-t-on pas fâché
d'en trouver ici quelques-unes. Celle que la reine offrit au roi
représentoit un dauphin qui nageoit sur les flots ; ces
mots étoient gravés sur les revers :
Delphinum,
ut delphinum rependat, ce qui veut dire :
Je vous donne un dauphin, & j'en
attens un autre.
Madame
de Nevers en donna une au duc de Guise sur laquelle étoit
gravé un cheval marin avec ces mots :
Adversus
semper in hostem
Prêt à fondre sur l'ennemi.
Il
y avoit sur celle que M. de Genevois reçut de madame de
Guise un arion avec ces paroles :
Populi
superat prudentia fluctus
Le peuple en vain s'émeut, la prudence l'appaise.
Madame
d'Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle étoit
gravée une baleine avec cette belle maxime :
Cui
sat, nil ultrà
Avoir assez, c'est avoir tout.
Un
physite, qui est une espece d'orque ou de baleine, étoit
représenté sur la médaille que madame de
Joyeuse offrit au marquis de Pons ; ces mots lui servoient de
devise :
Sic
famam jungere famae
Si vous voulez pour vous fixer la renommée, occupez toûjours
ses cent voix.
Le
duc d'Aumale reçut un triton tenant un trident, & voguant
sur les flots irrités ; ces trois mots étoient gravés
sur les revers :
Commovet
& sedat
Il les trouble & les calme.
Une
branche de corail sortant de l'eau, étoit gravée
sur la médaille que madame de l'Archant présenta
au duc de Joyeuse ; elle avoit ces mots pour devise :
Eadem
natura remansit
Il change en vain, il est le même.
Ainsi
la cour de France, troublée par la mauvaise politique de
la reine, divisée par l'intrigue, déchirée
par le fanatisme, ne cessoit point cependant d'être enjoüée,
polie & galante. Trait singulier & de caractere, qui seroit
sans-doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs,
sous un roi efféminé, n'y avoit été
poussé jusqu'à la licence la plus effrénée
; ce qui est toûjours une tache pour le souverain, une flétrissure
pour les courtisans, & une contagion funeste pour le peuple.
On
ne s'est point refusé à ce récit, peut-être
trop long, parce qu'on a cru qu'il seroit suffisant pour faire
connoître le goût de ce tems, & que moyennant
cet avantage il dispenseroit de bien d'autres détails.
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*
Le règne de Henri III
Extrait
du Registre Journal de Pierre de l'Estoile concernant l'ordonnancement
de ces fêtes :
Festin
du Cardinal de Bourbon.
Le
Mardi 10e jour d'octobre, le cardinal de Bourbon fist son festin
des nopces du duc de Joieuse en l'hostel de son abbaie de Saint-Germain
des Prés, et fist faire, à grans frais, sur la rivière
de Seine, un grand et superbe appareil d'un grand baq, accomodé
en forme de char triumphant, auquel le Roy, princes et princesses,
et les mariés, devoient passer du Louvre au au Pré
au Clercs, en pompe moult solennelle, car ce baq ou char triumphant
devait être tiré par dessus l'eau par autres batteaux
desguisés en chevaux marins, tritons, balenes, serenes,
saumons, dauphins, tortues et autres monstres marins, jusques
au nombre de 24, en aucuns desquels estoient portés, à
couvert au ventre desdits monstres, les trompettes, clairons,
haultbois, violons, cornets et autres musiciens d'excellence,
même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le
trajet devoient donner maints passetemps et plaisirs, tant au
Roy et à sa compagnie, qu'à 50 mil personnes du
peuple de Paris, de tout genre et de tout aage et sexe, espandues
sur les deux rivages, en grande expectation de voir quelque beau
et rare dessein. Mais le mistère ne fut pas bien joué,
et ne peust-on faire marcher les animaux ainsi qu'on avait projetté,
de façon que le Roy, aiant aux Tuilleries, depuis 4 jusqu'à
7 heures du soir, attendu le mouvement et accheminement de ces
animaux aquatiques sans en apercevoir aucun effect, despité
et marri, dit qu'il voioit bien que c'estoient des bestes qui
commandoient à d'autres bestes, et estant monté
en coche avec les Roynes et tout le train de sa suite, alla au
festin qui fust jugé le plus pompeux et magnifique de tous,
nommément en ce que ledit seingneur cardinal fit représenter
un jardin artificiel garni de fleurs et de fruits comme si c'eust
été en may, ou en juillet et aoust.
Festin
de la Royne.
Le
dimanche 15e, la Royne fit son festin au Louvre, lequel elle finit
par un ballet de Circé et de ses nymphes, le plus beau,
le mieux ordonné et le plus dextrement exécuté,
au contentement de chacun qui eust moien de le voir, qu'aucun
autre de tous ceux auparavant, par le Roy et autres princes et
seingneurs, mis enjeu.
Combats
roiaux de toutes sortes. Musiques, ballets et carrousels.
Le lundi 16e, en la belle et grande lisse, à grans frais
et peine et en pompeuse magnificence, dressée et bâtie
au jardin du Louvre, exécuta le Roy son combat de quatorze
Blancs contre quatorze Jaunes, à huict heures , aux torches
et flambeaux : et le mardi 17e, un autre combat à la pique,
à l'estocq, au tronson de la lance, à pied et à
cheval ; et le jeudi 19e, pour la fin des carrousels et ballets,
fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d'Espagne,
coursiers, et autres du combat, en combattant, s'avançoient,
se retiroient et se contournoient, au son et à la cadance
des trompettes et clairons sonnans, y aians été
aduits et instruits cinq ou six mois auparavant.
Tout cela fut beau et plaisant ; mais la plus grande excellence
de tout ce qui s'y vid, lesdits jours de mardi et jeudi, fut la
musique de voix et d'instruments, la plus harmonieuse et déliée
qu'hommes y assistant eust oncques ouie ni entendue ; furent aussi
les feux artificiels, qui scopetèrent et brillèrent
aveq un incroiable espouvantement et contentement de toutes personnes
qui les virent, sans toutefois qu'aucune fust offensée.
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