Ballets,
s. m.
danse figurée exécutée par plusieurs personnes
qui représentent par leurs pas & leurs gestes une action
naturelle ou merveilleuse, au son des instrumens ou de la voix.
Tout
ballet suppose la danse, & le concours de deux ou de plusieurs
personnes pour l'exécuter. Une personne seule, qui en dansant
représenteroit une action, ne formeroit pas proprement
un ballet ; ce ne seroit alors qu'une sorte de pantomime. Et plusieurs
personnes qui représenteroient quelque action sans danse,
formeroient une comédie & jamais un ballet.
La
danse, le concours de plusieurs personnes, & la représentation
d'une action par les gestes, les pas, & les mouvemens du corps,
sont donc ce qui constitue le ballet. Il est une espece de poësie
muette qui parle, selon l'expression de Plutarque, parce que sans
rien dire, elle s'exprime par les gestes, les mouvemens &
les pas. Clausis faucibus, dit Sidoine Apollinaire, & loquente
gestu, nutu, crure, genu, manu, rotatu, toto in schemate, vel
semel latebit. Sans danse il ne peut point exister de ballet :
mais sans ballet il peut y avoir des danses.
Le
ballet est un amusement très ancien. Son origine se perd
dans l'antiquité la plus reculée. On dansa dans
les commencemens pour exprimer la joie ; & ces mouvemens reglés
du corps firent imaginer bien-tôt après un divertissement
plus compliqué. Les Egyptiens firent les premiers de leurs
danses des hiérogliphes d'action, comme ils en avoient
de figurés en peinture, pour exprimer tous les mysteres
de leur culte. Sur une musique de caractere, ils composerent des
danses sublimes, qui exprimoient & qui peignoient le mouvement
reglé des astres, l'ordre immuable, & l'harmonie constante
de l'univers.
Les
Grecs dans leurs tragédies introduisirent des danses, &
suivirent les notions des Egyptiens. Les choeurs qui servoient
d'intermedes, dansoient d'abord en rond de droite à gauche,
& exprimoient ainsi les mouvemens du ciel qui se font du levant
au couchant. Ils appelloient cette danse strophes ou tours.
Ils
se tournoient ensuite de gauche à droite pour représenter
le cours des planetes, & ils nommoient ces mouvemens antistrophes
ou retours ; après ces deux danses, ils s'arrêtoient
pour chanter : ils nommoient ces chants épodes. Par-là
ils représentoient l'immobilité de la terre qu'ils
croyoient fixe.
Thésée
changea ce premier objet de la danse des Grecs ; leurs choeurs
ne furent plus que l'image des évolutions & des détours
du fameux labyrinthe de Crete. Cette danse inventée &
exécutée par le vainqueur du Minotaure & la
jeunesse de Delos, étoit composée de strophes &
d'antistrophes, comme la premiere, & on la nomma la danse
de la grue, parce qu'on s'y suivoit à la file, en faisant
les diverses évolutions dont elle étoit composée,
comme font les grues lorsqu'elles volent en troupe.
Les
ballets furent constamment attachés aux tragédies
& aux comédies des Grecs ; Athenée les appelle
danses philosophiques ; parce que tout y étoit reglé,
& qu'elles étoient des allégories ingénieuses,
& des représentations d'actions, ou des choses naturelles
qui renfermoient un sens moral.
Le
mot ballet vient de ce qu'originairement on dansoit en joüant
à la paume. Les anciens, attentifs à tout ce qui
pouvoit former le corps, le rendre agile ou robuste, & donner
des graces à ses mouvemens, avoient uni ces deux exercices
; ensorte que le mot ballet est venu de celui de balle : on en
a fait bal, ballet, ballade, & baladin, le ballar & ballo
des Italiens & le bailar des Espagnols, comme les Latins en
avoient fait ceux de ballare & de ballator, &c.
Deux
célebres danseurs furent à Rome les inventeurs véritables
des ballets, & les unirent à la tragédie &
à la comédie.
Batile
d'Alexandrie inventa ceux qui représentoient les actions
gaies, & Pilade introduisit ceux qui représentoient
les actions graves, touchantes, & pathétiques.
Leurs
danses étoient un tableau fidele de tous les mouvemens
du corps, & une invention ingénieuse qui servoit à
les regler, comme la tragédie en représentant les
passions, servoit à rectifier les mouvemens de l'ame.
Les
Grecs avoient d'abord quatre especes de danseurs qu'on nommoit
hylarodes, simodes, magodes & lysiodes ; ils s'en servoient
pour composer les danses de leurs intermedes. V. ces mots à
leurs différ. articles.
Ces
danseurs n'étoient proprement que des bouffons, & ce
fut pour purger la scene de cette indécence, que les Grecs
inventerent les ballets réglés, & les choeurs
graves que la tragédie reçut à sa place.
Les
anciens avoient une grande quantité de ballets, dont les
sujets sont rapportés dans Athenée ; mais on ne
trouve point qu'ils s'en soient servis autrement que comme de
simples intermedes. Aristote, Platon, &c. en parlent avec
éloge ; & le premier est entré, dans sa Poëtique,
dans un très-grand détail au sujet de cette brillante
partie des spectacles des Grecs.
Quelques
auteurs ont prétendu que c'étoit à la cruauté
d'Hyeron tyran de Syracuse, que les ballets devoient leur origine.
Ils disent que ce prince soupçonneux ayant défendu
aux Siciliens de se parler, de peur qu'ils ne conspirassent contre
lui ; la haine & la nécessité, deux sources
fertiles d'invention, leur suggérerent les gestes, les
mouvemens du corps & les figures, pour se faire entendre les
uns aux autres : mais nous trouvons des ballets, & en grand
nombre, antérieurs à cette époque ; &
l'opinion la plus certaine de l'origine des danses figurées,
est celle que nous avons rapportée ci-dessus.
Le
ballet passa des Grecs chez les Romains, & il y servit aux
mêmes usages ; les Italiens & tous les peuples de l'Europe
en embellirent successivement leurs théatres, & on
l'employa enfin pour célebrer dans les cours les plus galantes
& les plus magnifiques, les mariages des rois, les naissances
des princes, & tous les évenemens heureux qui intéressoient
la gloire & le repos des nations. Il forma seul alors un très-grand
spectacle, & d'une dépense immense, que dans les deux
derniers siecles on a porté au plus haut point de perfection
& de grandeur.
Lucien
qui a fait un traité de la danse, entre dans un détail
fort grand des sujets qui sont propres à ce genre de spectacle
: il semble que cet auteur ait prévû l'usage qu'on
en feroit un jour dans les cours les plus polies de l'Europe.
On
va donner une notion exacte de ces grands ballets, aujourd'hui
tout-à-fait hors de mode, on a vû quelle a été
leur origine & leur succès ; on verra dans la suite
leurs changemens, leur décadence, & le genre nouveau
qu'elle a produit : des yeux philosophes trouvent par-tout ces
commencemens, ces progrès, ces diminutions, ces modifications
différentes, en un mot, qui sont dans la nature ; mais
elles se manifestent d'une maniere encore plus sensible dans l'histoire
des Arts.
Comme
dans son principe, le ballet est la représentation d'une
chose naturelle ou merveilleuse, il n'est rien dans la nature,
& l'imagination brillante des Poëtes n'a pû rien
inventer, qui ne fût de son ressort.
On
peut diviser ces grands ballets en historiques, fabuleux, &
poëtiques.
Les
sujets historiques sont les actions connues dans l'histoire, comme
le siége de Troie, les victoires d'Alexandre, &c.
Les
sujets fabuleux sont pris de la fable, comme le jugement de Paris,
les noces de Thétis & Pelée, la naissance de
Vénus, &c.
Les
poétiques, qui sont les plus ingénieux, sont de
plusieurs especes, & tiennent pour la plûpart de l'histoire
& de la fable.
On
exprime par les uns les choses naturelles, comme les ballets de
la nuit, des saisons, des tems, des âges, &c. d'autres
sont des allégories qui renferment un sens moral, comme
le ballet des proverbes, celui des plaisirs troublés, celui
de la mode, des aveugles, de la curiosité, &c.
Il
y en a eu quelques-uns de pur caprice, comme le ballet des postures,
& celui de bicêtre ; quelques autres n'ont été
que des expressions naïves de certains évenemens communs,
ou de certaines choses ordinaires. De ce nombre étoient
les ballets des cris de Paris, de la foire S. Germain, des passe-tems,
du carnaval, &c. Enfin l'histoire, la fable, l'allégorie,
les romans, le caprice, l'imagination, sont les sources dans lesquelles
on a puisé les sujets des grands ballets. On en a vû
de tous ces genres différens réussir, & faire
honneur à leurs différens inventeurs.
Ce
spectacle avoit des regles particulieres, & des parties essentielles
& intégrantes, comme le poëme épique &
dramatique.
La
premiere regle est l'unité de dessein. En faveur de la
difficulté infinie qu'il y avoit à s'assujettir
à une contrainte pareille, dans un ouvrage de ce genre,
il fut toûjours dispensé de l'unité de tems
& de l'unité de lieu. L'invention ou la forme du ballet
est la premiere de ses parties essentielles : les figures sont
la seconde : les mouvemens la troisieme : la Musique qui comprend
les chants, les ritournelles, & les symphonies, est la quatrieme
: la décoration & les machines sont la cinquieme :
la Poësie est la derniere ; elle n'étoit chargée
que de donner par quelques récits les premieres notions
de l'action qu'on représentoit.
Leur
division ordinaire étoit en cinq actes, & chaque acte
étoit divisé en 3, 6, 9, & quelquefois 12 entrées.
On
appelle entrée une ou plusieurs quadrilles de danseurs,
qui par leur danse représentent la partie de l'action dont
ils sont chargés.
On
entend par quadrille ; 4, 6, 8, & jusqu'à 12 danseurs
vêtus uniformément, ou de caracteres différens,
suivant l'exigence des cas. Chaque entrée étoit
composée d'un ou plusieurs quadrilles, selon que l'exigeoit
le sujet.
Il
n'est point de genre de danse, de sorte d'instrumens, ni de caractere
de symphonie, qu'on n'ait fait entrer dans les ballets. Les anciens
avoient une singuliere attention à employer des instrumens
différens à mesure qu'ils introduisoient sur la
scene de nouveaux caracteres, ils prenoient un soin extrème
à peindre les âges, les moeurs, les passions des
personnages qu'ils mettoient devant les yeux.
A
leur exemple dans les grands ballets exécutés dans
les différentes cours de l'Europe, on a eu l'attention
de mêler dans les orchestres, les instrumens convenables
aux divers caracteres qu'on a voulu peindre ; & on s'est attaché
plus ou moins à cette partie, selon le plus ou le moins
de goût de ceux qui en ont été les inventeurs,
ou des souverains pour lesquels on les a exécutés.
On
croit devoir rapporter ici en abrégé deux de ces
grands ballets ; l'un pour faire connoître les fonds, l'autre
pour faire appercevoir la marche théatrale de ces sortes
de spectacles. C'est du savant traité du P. Ménétrier
Jésuite, qu'on a extrait le peu de mots qu'on va lire.
Le
gris de lin étoit le sujet du premier ; c'étoit
la couleur de Madame Chrétienne de France, duchesse de
Savoie, à laquelle la fête étoit donnée.
Au
lever de la toile l'Amour déchire son bandeau ; il appelle
la lumiere, & l'engage par ses chants à se répandre
sur les astres, le ciel, l'air, la terre, & l'eau, afin qu'en
leur donnant par la variété des couleurs milles
beautés différentes, il puisse choisir la plus agréable.
Junon
entend les voeux de l'amour, & les remplit, Iris vole par
ses ordres dans les airs, elle y étale l'éclat des
plus vives couleurs. L'amour frappé de ce brillant spectacle,
après l'avoir consideré, se décide pour le
gris de lin, comme la couleur la plus douce & la plus parfaite
; il veut qu'à l'avenir il soit le symbole de l'amour sans
fin. Il ordonne que les campagnes en ornent les fleurs, qu'elle
brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux
les plus beaux en parent leur plumage, & qu'elle serve d'ornement
aux habits les plus galans des mortels.
Toutes
ces choses différentes animées par la danse, embellies
par les plus éclatantes décorations, soûtenues
d'un nombre fort considérable de machines surprenantes,
formerent le fonds de ce ballet, un des plus ingénieux
& des plus galans qui ayent été représentés
en Europe.
On
donna le second à la même cour en 1634, pour la naissance
du cardinal de Savoie. Le sujet de ce ballet étoit la Verita
nemica della apparenza sollevata dal tempo.
Au
lever de la toile on voyoit un choeur de Faux Bruits & de
Soupçons, qui précedoient l'Apparence & le Mensonge.
Le
fond du théatre s'ouvrit. Sur un grand nuage porté
par les vents, on vit l'Apparence vêtue d'un habit de couleurs
changeantes, & parsemé de glaces de miroir, avec des
aîles, & une queue de paon ; elle paroissoit comme dans
une espece de nid d'où sortirent en foule les Mensonges
pernicieux, les Fraudes, les Tromperies, les Mensonges agréables,
les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges bouffons, les Plaisanteries,
les jolis petits Contes.
Ces
personnages formerent les différentes entrées, après
lesquelles le Tems parut. Il chassa l'Apparence, il fit ouvrir
le nuage sur lequel elle s'étoit montrée. On vit
alors une grande horloge à sable, de laquelle sortirent
la Vérité & les Heures. Ces derniers personnages,
après différens récits analogues au sujet,
formerent les dernieres entrées, qu'on nomme le grand ballet.
Par
ce court détail, on voit que ce genre de spectacle réunissoit
toutes les parties qui peuvent faire éclater la magnificence
& le goût d'un souverain ; il exigeoit beaucoup de richesse
dans les habits, & un grand soin pour qu'ils fussent toûjours
du caractere convenable. Il falloit des décorations en
grand nombre, & des machines surprenantes.
Les
personnages d'ailleurs du chant & de la danse en étoient
presque toûjours remplis par les souverains eux-mêmes,
les seigneurs & les dames les plus aimables de leur cour ;
& souvent à tout ce qu'on vient d'expliquer, les princes
qui donnoient ces sortes de fêtes ajoûtoient des présens
magnifiques pour toutes les personnes qui y représentoient
des rôles ; ces présens étoient donnés
d'une maniere d'autant plus galante, qu'ils paroissoient faire
partie de l'action du ballet.
En
France, en Italie, en Angleterre, on a représenté
une très-grande quantité de ballets de ce genre
: mais la cour de Savoie semble l'avoir emporté dans ces
grands spectacles sur toutes les cours de l'Europe. Elle avoit
le fameux comte d'Aglié, le génie du monde le plus
fécond en inventions théatrales & galantes.
Le grand art des souverains en toutes choses est de savoir choisir,
la gloire d'un regne dépend presque toûjours d'un
homme mis à sa place, ou d'un homme oublié.
Les
ballets représentés en France jusqu'en l'année
1671, furent tous de ce grand genre. Louis XIV. en fit exécuter
plusieurs pendant sa jeunesse, dans lesquels il dansa lui même
avec toute sa cour. Les plus célebres sont le ballet des
Prospérités des armes de la France, dansé
peu de tems après la majorité de Louis XIV. Ceux
d'Hercule amoureux, exécuté pour son mariage, d'Alcidiane,
dansé le 14 Février 1658 ; des Saisons, exécuté
à Fontainebleau le 23 Juillet 1661 ; des Amours déguisés,
en 1664, &c.
Les
ballets de l'ancienne cour furent pour la plûpart imaginés
par Benserade. Il faisoit des rondeaux pour les récits
; & il avoit un art singulier pour les rendre analogues au
sujet général, à la personne qui en étoit
chargée, au rôle qu'elle représentoit, &
à ceux à qui les récits étoient adressés.
Ce poëte avoit un talent particulier pour les petites parties
de ces sortes d'ouvrages ; il s'en faut bien qu'il eût autant
d'art pour leur invention & pour leur conduite.
Lors
de l'établissement de l'opéra en France, on conserva
le fond d'un grand ballet : mais on en changea la forme. Quinault
imagina un genre mixte, dans lequel les récits firent la
plus grande partie de l'action. La danse n'y fut plus qu'en sous-ordre.
Ce fut en 1671, qu'on représenta à Paris les Fêtes
de Bacchus & de l'Amour, cette nouveauté plut ; &
en 1681, le Roi & toute sa cour exécuterent à
Saint-Germain le Triomphe de l'Amour, fait par Quinault, &
mis en musique par Lulli : de ce moment il ne fut plus question
du grand ballet, dont on vient de parler. La danse figurée,
ou la danse simple, reprirent en France la place qu'elles avoient
occupée sur les théatres des Grecs & des Romains
; on ne les y fit plus servir que pour les intermedes ; comme
dans Psiché ; le Mariage forcé, les Fâcheux,
les Pygmées, le Bourgeois Gentilhomme, &c. Le grand
ballet fut pour toûjours relégué dans les
colléges. A l'opéra même le chant prit le
dessus. Il y avoit plus de chanteurs que de danseurs passables
; ce ne fut qu'en 1681, lorsqu'on représenta à Paris
le Triomphe de l'Amour, qu'on introduisit pour la premiere fois
des danseurs sur ce théatre.
Quinault
qui avoit créé en France l'opéra, qui en
avoit aperçu les principales beautés, & qui
par un trait de génie singulier avoit d'abord senti le
vrai genre de ce spectacle, n'avoit pas eu des vûes aussi
justes sur le ballet. Il fut imité depuis par tous ceux
qui travaillerent pour le théatre lyrique. Le propre des
talens médiocres est de suivre servilement à la
piste la marche des grands talens.
Après
sa mort on fit des opéra coupés comme les siens,
mais qui n'étoient animés, ni du charme de son style,
ni des graces du sentiment qui étoit sa partie sublime.
On pouvoit l'atteindre plus aisément dans le ballet, où
il avoit été fort au-dessous de lui-même ;
ainsi on le copia dans sa partie la plus défectueuse jusqu'en
1697, que la Mothe, en créant un genre tout neuf, acquit
l'avantage de se faire copier à son tour.
L'Europe
Galante est le premier ballet dans la forme adoptée aujourd'hui
sur le théatre lyrique. Ce genre appartient tout-à-fait
à la France, & l'Italie n'a rien qui lui ressemble.
On ne verra sans-doute jamais notre opéra passer chez les
autres nations : mais il est vraisemblable qu'un jour, sans changer
de musique (ce qui est impossible) on changera toute la constitution
de l'opéra Italien, & qu'il prendra la forme nouvelle
& piquante du ballet François.
Il
consiste en trois ou quatre entrées précédées
d'un prologue.
Le
prologue & chacune des entrées forment des actions
séparées avec un ou deux divertissemens mêlés
de chants & de danses.
La
tragédie lyrique doit avoir des divertissemens de danse
& de chant, que le fond de l'action amene. Le ballet doit
être un divertissement de chant & de danse, qui amene
une action, & qui lui sert de fondement, & cette action
doit être galante, intéressante, badine, ou noble
suivant la nature des sujets.
Tous
les ballets qui sont restés au théatre sont en cette
forme, & vraisemblablement il n'y en aura point qui s'y soûtiennent,
s'ils en ont une différente. Le Roi Louis XV. a dansé
lui-même avec sa cour, dans les ballets de ce nouveau genre,
qui furent représentés aux Tuileries pendant son
éducation.
Danchet,
en suivant le plan donné par la Mothe, imagina des entrées
comiques ; c'est à lui qu'on doit ce genre, si c'en est
un. Les Fêtes Vénitiennes ont ouvert une carriere
nouvelle aux Poëtes & aux Musiciens, qui auront le courage
de croire, que le théatre du merveilleux est propre à
rendre le comique.
Les
Italiens paroissent penser que la musique n'est faite que pour
peindre tout ce qui est de plus noble ou de plus bas dans la nature.
Ils n'admettent point de milieu. Ils répandent avec profusion
le sublime dans leurs tragédies, & la plus basse plaisanterie
dans leurs opéra bouffons, & ceux-ci n'ont réussi
que dans les mains de leurs musiciens les plus célebres.
Peut-être dans dix ans pensera-t-on comme eux. Platée,
opéra bouffon de M. Rameau, qui est celui de tous ses ouvrages
le plus original & le plus fort de génie, décidera
sans-doute la question au préjudice des Fêtes Vénitiennes
& des Fêtes de Thalie, peu goûtées dans
leurs dernieres reprises.
Peut-être
la Mothe a-t-il fait une faute en créant le ballet. Quinault
avoit senti que le merveilleux étoit le fond dominant de
l'opéra. Pourquoi ne seroit-il pas aussi le fond du ballet
? La Mothe ne l'a point exclu : mais il ne s'en est point servi.
Il est d'ailleurs fort singulier qu'il n'ait pas donné
un plus grand nombre d'ouvrages d'un genre si aimable. On n'a
de lui que l'Europe galante qui soit restée au théatre
; il a cru modestement sans-doute que ce qu'on appelle grand opéra,
étoit seul digne de quelque considération. Son esprit
original l'eût mieux servi cependant dans un genre tout
à lui. il n'est excellent à ce théatre que
dans ceux qu'il a créés.
Il
y a peut-être encore un défaut dans la forme du ballet
créé par la Mothe. Les danses n'y sont que des danses
simples : nulle action relative au sujet ne les anime ; on danse
dans l'Europe galante pour danser. Ce sont à la vérité
des peuples différens qu'on y voit paroître : mais
leurs habits plûtôt que leurs pas annoncent leurs
divers caracteres ; aucune action particuliere ne lie la danse
avec le reste de l'acte.
De
nos jours on a hasardé le merveilleux dans le ballet, &
on y a mis la danse en action : elle y est une partie nécessaire
du sujet principal. Ce genre, qui a plû dans sa nouveauté,
présente un plus grand nombre de ressources pour l'amusement
du spectateur, des moyens plus fréquens à la poésie,
à la peinture, à la musique, d'étaler leurs
richesses ; & au théatre lyrique, des occasions de
faire briller la grande machine, qui en est une des premieres
beautés : mais il faut attendre la reprise des Fêtes
de l'Hymen & de l'Amour, pour décider si ce genre est
le véritable.
De
tous les ouvrages du théatre lyrique, le ballet est celui
qui paroît le plus agréable aux François.
La variété qui y regne, le mélange aimable
du chant & de la danse, des actions courtes qui ne sauroient
fatiguer l'attention, des fêtes galantes qui se succedent
avec rapidité, une foule d'objets piquans qui paroissent
dans ces spectacles, forment un ensemble charmant, qui plaît
également à la France & aux étrangers.
Cependant
parmi le grand nombre d'auteurs célebres qui se sont exercés
dans ce genre, il y en a fort peu qui l'ayent fait avec succès
; on a encore moins de bons ballets que de bons opéra,
si on en excepte les ouvrages de Mr. Rameau, du sort desquels
on n'ose décider, & qui conserveront, ou perdront leur
supériorité, selon que le goût de la nation
pour la musique se fortifiera, ou s'affoiblira par la suite. Le
théatre lyrique qui peut compter à-peu-près
sur huit ou dix tragédies dont la réussite est toûjours
sûre, n'a pas plus de trois ou quatre ballets d'une ressource
certaine ; l'Europe galante, les Elémens, les Amours des
Dieux, & peut-être les Fêtes Greques & Romaines.
D'où vient donc la rareté des talens dans un pareil
genre ? Est-ce le génie ou l'encouragement qui manquent
? Plutarq. Sid. Apoll. Athén. Arist. Poetique. Platon.
Hist. de la danse par Bonnet. Lucien. L. P. Menestrier J. Traité
des Ballets, &c. (B)
Ballets
aux chansons ; ce sont les premiers ballets qui ayent été
faits par les anciens. Eriphanis, jeune greque, qui aimoit passionnément
un chasseur nommé Menalque, composa des chansons par lesquelles
elle se plaignoit tendrement de la dureté de son amant.
Elle le suivit, en les chantant, sur les montagnes & dans
les bois : mais cette amante malheureuse mourut à la peine.
On étoit peu galant, quoi qu'en disent les Poëtes,
dans ces tems reculés. L'avanture d'Eriphanis fit du bruit
dans la Grece, parce qu'on y avoit appris ses chansons ; on les
chantoit, & on représentoit sur ces chants les avantures,
les douleurs d'Eriphanis, par des mouvemens & des gestes qui
ressembloient beaucoup à la danse.
Nos
branles sont des especes de ballets aux chansons. A l'opéra
on peut introduire des ballets de ce genre. Il y a une sorte de
pantomime noble de cette espece dans la troisieme entrée
des Talens Lyriques, qui a beaucoup réussi, & qui est
d'une fort agréable invention. La danse de Terpsichore,
du prologue des Fêtes Greques & Romaines, doit être
rangée aussi dans cette classe. Le P. Ménétrier,
traité des ballets.
Encyclopédie
de Diderot et d'Alembert.
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